Jean-Claude Corbeil, édificateur du français, s’éteint

Le linguiste Jean-Claude Corbeil
Photo: François Fortin Le linguiste Jean-Claude Corbeil

Le linguiste Jean-Claude Corbeil est mort. Cet érudit se trouvait derrière l’élaboration et la mise en œuvre des principales lois linguistiques adoptées au Québec, soit la Loi sur la langue officielle (1974) et la Charte de la langue française (1977). « C’est sous son impulsion qu’a été développé un vocabulaire permettant aux gens de travailler en français, dans leur domaine », indique au Devoir la linguiste Marie-Éva de Villers.

« C’est lui qui a désanglicisé le Québec », soutient la linguiste Nadine Vincent, de l’Université de Sherbrooke. « Il n’a cessé de dire que l’individu seul ne pouvait affronter le drame de l’anglicisation et que l’État à cet égard jouait un rôle fondamental. »

Depuis 1986, Jean-Claude Corbeil était connu d’un vaste public comme l’auteur du Visuel, un dictionnaire original qui compte parmi les plus grands succès de l’édition québécoise. Publié dans plus de 35 langues européennes, mais aussi en japonais, en chinois et en arabe, l’ouvrage a été vendu à ce jour à des millions d’exemplaires.

L’ancienne ministre Louise Beaudoin n’hésite pas à présenter cet ancien directeur linguistique de l’Office québécois de la langue française comme « cet homme absolument admirable » à la source « de toutes les politiques linguistiques québécoises ».

Nadine Vincent observe que non seulement le Québec, mais aussi la Catalogne et plusieurs pays d’Afrique ont pris appui sur lui. « Il a beaucoup fait avancer le Québec, note-t-elle. Avec Guy Rocher, c’est un des bâtisseurs du Québec moderne, c’est indéniable. » C’est à lui qu’on doit le concept d’« aménagement linguistique ».

Contrer les insuffisances

 

Né en 1932 à Tétreaultville, quartier populaire de l’est de Montréal, il sera professeur de latin et de français à l’école normale Jacques-Cartier. « [I]l y découvre à la fois les insuffisances de la grammaire traditionnelle [dans l’explication] des faits linguistiques et l’importance de l’école dans l’acquisition d’une langue de qualité par les enfants », explique le Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec (CRIFUQ) de l’Université de Sherbrooke.

En parallèle à son enseignement, Corbeil poursuit des études supérieures en linguistique à l’Université de Montréal. Il obtient un doctorat dans la même discipline en France, à l’Université de Strasbourg. À compter de 1968, il est professeur au Département de linguistique de l’Université de Montréal.

« Chaque année, à compter du début des années 1970, il invitait à l’automne au Québec les plus grands linguistes du monde, Alain Rey, Jean Dubois et tant d’autres, pour tenter de créer une banque de termes spécialisés en français », raconte Marie-Éva de Villers.

Au cœur des politiques

 

Un vif intérêt pour la sociolinguistique l’encourage, en 1971, à accepter la direction linguistique de l’Office de la langue française. « Il participe aux travaux de la commission Gendron », la Commission d’enquête sur la situation de la langue française et des droits linguistiques au Québec, relève l’ex-ministre Louise Beaudoin.

« En fait, Jean-Claude Corbeil est au cœur des politiques linguistiques du Québec depuis l’époque de Daniel Johnson père », souligne l’ancien président de la CSN Gérald Larose.

En 2000-2001, au moment des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, aussi connus sous le nom de commission Larose, Jean-Claude Corbeil est le secrétaire de l’équipe qui a pour mandat « d’identifier et d’analyser les principaux facteurs qui influencent la situation et l’avenir » du français dans la province. Pour l’ancien président de la CSN, « Jean-Claude Corbeil fut un homme qui compte au petit nombre des grands artisans des politiques linguistiques du Québec. Il était, à l’égard de la langue, mais aussi des politiques linguistiques internationales, une véritable encyclopédie vivante. C’est à lui, au cours des travaux de notre commission, que nous transmettions toutes nos questions ».

À l’invitation de la ministre Louise Beaudoin, en 1995, Jean-Claude Corbeil accepte de préparer un nouvel énoncé de politique à l’intention du gouvernement du Québec, dans la perspective de renouveler la Charte de la langue française. Il sera par la suite, jusqu’en 2000, sous-ministre responsable de l’application de la politique linguistique. La même année, il est fait officier de l’Ordre des arts et des lettres en France.

De 1980 à 1988, Jean-Claude Corbeil assume aussi les fonctions de secrétaire général du Conseil international de recherche et d’étude en linguistique fondamentale et appliquée. « Cette fonction le met en étroite relation avec tous les pays où on fait usage de la langue française, notamment les pays africains et les pays créolophones », précise le CRIFUQ. De 1988 à 1991, Jean-Claude Corbeil agit comme conseiller auprès du président du Conseil de la langue française du Québec.

Choisir ses combats

 

C’est à cette époque qu’il lance, chez l’éditeur Québec Amérique, une première version de son ouvrage le plus connu, en collaboration avec Ariane Archambault : le Dictionnaire thématique visuel, qui sera bientôt connu sous la seule appellation du Visuel.

Avec Marie-Éva de Villers, il participe à la publication, à la même enseigne, du Multidictionnaire des difficultés de la langue française, qui connaît lui aussi un vif succès.

En 2007, dans un livre préfacé par Louise Beaudoin intitulé L’embarras des langues, Jean-Claude Corbeil résume son expérience en matière de politiques linguistiques. « Il voulait expliquer aux plus jeunes d’où venait la nécessité de la loi 101, ce que tout cela avait signifié », rappelle Louise Beaudoin.

La Grande Médaille de la Francophonie lui est décernée en 2010, et vient s’ajouter à plusieurs autres reconnaissances reçues pour son œuvre. « À la fin de sa vie, note Nadine Vincent, il avait la générosité, en parlant aux étudiants, de leur dire qu’eux aussi avaient des combats à mener et qu’ils avaient le droit de les choisir. »

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