Une influence parfois moins virale que souhaité

Les influenceurs sont-ils aussi influents qu’on le dit ? Depuis le début de la pandémie, les gouvernements font le pari que oui, et rémunèrent ouvertement ces vedettes des réseaux sociaux pour qu’elles fassent la promotion des consignes sanitaires auprès des jeunes. Mais cette stratégie, qui ne fait pas l’unanimité, n’est pas garante de succès et peut même se retourner contre eux.
Suivi par 105 000 abonnés sur Instagram, Chris Robins a confié sur sa page lundi qu’il ne voulait « rien savoir » de se faire vacciner au départ, mais qu’il avait changé d’idée pour protéger la « sécurité » de ses proches. Or, en voyant que la publication avait été financée par Santé Canada, plusieurs internautes ont immédiatement pensé que l’agence fédérale avait rémunéré un influenceur pour qu’il se fasse vacciner, tandis que la grande majorité des Québécois ont relevé la manche il y a plusieurs mois, sans avoir touché de compensation.
« Je n’ai pas été payé pour être vacciné. J’étais déjà vacciné avant : j’ai mes deux doses depuis le 14 septembre », a tenu à préciser Chris Robins en entrevue au Devoir, avant d’expliquer avoir changé son fusil d’épaule à la mi-août après que le gouvernement Legault eut annoncé l’implantation du passeport sanitaire dans les salles de sport.
Cet ancien participant d’Occupation double raconte ne pas avoir été approché directement par Santé Canada, mais plutôt par une agence de publicité qui fait affaire avec l’organisme fédéral. La commande était d’écrire un texte racontant son expérience de vaccination, ce qu’il a fait.
« Je ne comprends pas comment les gens peuvent penser que j’ai été payé pour être vacciné. La moindre personne qui va voir mes photos voit que je vais au gym, que je vais au restaurant, et qu’il faut être vacciné pour ça », poursuit l’influenceur, qui refuse cependant de dire combien il a empoché grâce à cette collaboration.
Santé Canada refuse de dire combien Chris Robin a reçu pour ce message promotionnel. Par contre, on sait que cette campagne, qui concerne aussi d’autres influenceurs, a coûté 60 000 $. Le ministère précise que l’objectif est de parler aux jeunes et aux « communautés racialisées », deux groupes que l’on juge « plus difficiles à atteindre » pour compléter l’effort vaccinal.
Une mode ?
Nina Duque, chargée de cours au Département de communication sociale et publique de l’UQAM, croit que, quel que soit son coût, ce contenu rémunéré rate de toute évidence sa cible. D’autant qu’elle n’en voit pas tellement l’utilité, puisque près de 90 % des Québécois de plus de 12 ans sont déjà adéquatement vaccinés.
« C’est un peu un coup d’épée dans l’eau. C’est au début de la campagne de vaccination que ce genre de publication avait sa pertinence. Le message qu’envoie le choix de cet influenceur, c’est que les retardataires sont des adeptes d’Occupation double. Est-ce que c’est vraiment le message que l’on veut envoyer ? » raille Nina Duque.
Elle y voit là la preuve que le marketing d’influence est mal compris par les communicants et par les gouvernements. Pour cette spécialiste des pratiques numériques chez les adolescents, il ne fait aucun doute que l’importance accordée aux fameux influenceurs est largement surestimée.
« C’est un mythe dans le monde de la publicité, regrette-t-elle. C’est vrai que les influenceurs sont suivis par énormément de jeunes. Mais c’est parce qu’ils sont divertissants, pas parce qu’ils sont considérés comme des modèles, surtout pour des questions aussi importantes que la vaccination. Les jeunes à qui j’ai parlé m’ont tous dit qu’ils auraient préféré être traités comme des adultes et entendre des experts sur la vaccination. »
Une stratégie qui divise
Nina Duque se moque de la stratégie de communication employée auprès des jeunes depuis le début de la pandémie par les deux ordres de gouvernement, qu’elle compare à un parent qui s’habillerait comme son adolescent pour paraître plus branché à ses yeux.
Vraisemblablement, on voit les choses d’un œil différent tant à Ottawa qu’à Québec. À l’instar du gouvernement fédéral, la Santé publique québécoise a eu maintes fois recours aux influenceurs pour inciter les jeunes à respecter les consignes sanitaires au fil de la pandémie. Le premier ministre Legault avait même publiquement fait appel à eux en mars 2020 afin qu’ils participent à l’effort de guerre en tentant de convaincre leurs abonnés de rester à la maison.
Une approche que Benoît Duguay, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, croit efficace, contrairement à Nina Duque.
« Il y a toujours eu des personnalités qui acceptent d’être commanditées pour faire la promotion de quelque chose, que ce soit des influenceurs, des artistes ou des sportifs. Et ce n’est pas pour rien, car la commandite est beaucoup plus efficace que la publicité traditionnelle, qui coûte beaucoup plus cher et qui n’est pas aussi ciblée », explique M. Duguay.
Que la procédé soit efficace ou non, Québec n’était pas en mesure de dire, mardi, combien le gouvernement a déboursé en marketing d’influence depuis le début de la pandémie pour promouvoir les mesures sanitaires et la vaccination.