Les itinérants de la place Émilie-Gamelin contraints à l’exil

L’aménagement d’un village de Noël à la place Émilie-Gamelin a provoqué l’exode de sans-abri qui ont l’habitude de traîner dans le secteur. Pour certains, les clôtures qui empêchent l’accès au site pendant la journée visent à exclure des personnes déjà ostracisées, alors que d’autres voient d’un bon œil la revitalisation de ce parc du centre-ville.
La place Émilie-Gamelin est depuis longtemps l’endroit de prédilection de plusieurs personnes en situation d’itinérance, et c’est encore plus vrai depuis le début de la pandémie, notamment parce que l’hôtel Place Dupuis, juste à côté, a été temporairement transformé en refuge l’hiver dernier. Le contraste était donc frappant mercredi matin : le parc était complètement désert, et les rues aux alentours étaient bien moins bondées qu’à l’accoutumée.
« Tous ces événements, comme le village de Noël, ça vise officiellement une meilleure cohabitation entre les populations marginalisées et le reste de la population », explique la professeure à l’École de travail social de l’UQAM Jade Bourdages. « Sauf que cette cohabitation se fait toujours au détriment des personnes en situation d’itinérance, car on les invisibilise parmi le reste du public. Et quand on ne les voit plus, on ne voit plus le problème », explique-t-elle.
Mme Bourdages comprend que les parcs peuvent tenir des événements grand public pour redorer leur image, mais rappelle que cela a simplement pour conséquence de transférer ailleurs en ville les problèmes liés à l’itinérance. Or, que les sans-abri soient plus excentrés et dispersés sur le territoire n’est pas nécessairement de bon augure, selon elle.
Point positif
Depuis que le village de Noël a ouvert ses portes la fin de semaine dernière, les refuges à proximité de la place Émilie-Gamelin observent en effet une hausse de l’achalandage. « On n’a jamais eu autant de monde. C’est toujours comme ça quand il y a des activités à Émilie-Gamelin, mais cette année, c’est pire. Depuis qu’on a rouvert la halte chaleur, le 1er décembre, on doit avoir entre 50 et 75 % de hausse d’achalandage par rapport à la normale », précise Chantal Laferrière, directrice générale de la Mission St-Michael, l’un des seuls refuges montréalais à admettre les personnes en état de consommation.
Cette cohabitation se fait toujours au détriment des personnes en situation d’itinérance
Même si elle peine à fournir à la demande, Mme Laferrière est favorable à l’organisation de grands événements à la place Émilie-Gamelin. Même qu’elle constate que cela a pour effet de pousser des sans-abri à se diriger vers des ressources appropriées plutôt que de rester au parc toute la journée.
« Même si on est débordés, je préfère les voir ici plutôt qu’au parc en plein hiver, d’autant plus qu’il y a beaucoup de cas d’engelure. Ici, ils peuvent manger à leur faim et ils ont accès à toutes sortes de services, comme un infirmier en tout temps », de raisonner la directrice générale de la Mission St-Michael, qui a pignon sur rue près du Quartier des spectacles.
Revitalisation difficile
L’administration Plante a donné son assentiment à la présence de barrières empêchant l’entrée sur le site en plein jour, « conformément aux protocoles sanitaires ». Du côté de l’organisation, on avance plutôt que ces clôtures sont nécessaires pour protéger les équipements du village de Noël.
« On n’a pas du tout l’impression d’exclure qui que ce soit. C’est comme ça depuis qu’on [est à] Émilie-Gamelin, en 2016, et on n’a jamais eu problèmes », tient à préciser Julie Bourbonnière, responsable des communications du festival Noël dans le parc.
Sauf que comme il n’y a pas eu d’édition l’an dernier et que l’itinérance a pris de l’ampleur dans le quartier depuis, l’absence de sans-abri durant l’événement saute encore plus aux yeux cette année. D’ailleurs, les questions liées à l’itinérance semblent rebuter une grande partie du public, qui n’a pas été aussi nombreux qu’escompté cette fin de semaine au village de Noël, malgré les spectacles en plein air qui y avaient lieu.
« Il va falloir travailler à la revitalisation. Parce que si ça continue comme ça, il va falloir se poser des questions à savoir si c’est viable un événement comme celui-là à Émilie-Gamelin », poursuit Mme Bourbonnière.
Passeport vaccinal
Noël dans le parc se poursuit jusqu’au 23 décembre. Le DJ Socalled sera en prestation à la place Émilie-Gamelin jeudi, et un spectacle de musique traditionnel sera présenté sur la scène du village de Noël vendredi.
Il faut présenter un passeport vaccinal pour entrer sur le site les soirs de spectacle. Le président-directeur général de la Mission Bon Accueil, Sam Watts, espère que cette mesure est appliquée avec modération pour les sans-abri.
« Il y a une très bonne couverture vaccinale chez les sans-abri. Mais même si on fournit des preuves de vaccination, ce n’est pas tout le monde qui est équipé pour se conformer à l’obligation. On espère donc que les organisateurs vont savoir user de leur jugement », affirme M. Watts, lui qui, autrement, est favorable à la tenue d’événements grand public à la place Émilie-Gamelin.