Une balançoire aux côtés de la statue de Macdonald?

À côté du socle de la statue de John A. Macdonald, laissé vacant sur la place du Canada à Montréal, une balançoire orange pourrait évoquer les milliers d’enfants décédés dans les pensionnats pour Autochtones, instaurés sous la gouverne du premier premier ministre du Canada.
C’est ce qu’a proposé une équipe d’étudiants en architecture de l’Université de Montréal, lauréate de la Charrette de design et d’architecture organisée cet automne par le Centre canadien d’architecture (CCA). Le concours visait à trouver des solutions de rechange au simple retour de la statue de Macdonald — décapitée par des manifestants pour protester contre les politiques racistes qu’il avait mises en œuvre — sur son socle après sa restauration.
« On a une façon très figée de se commémorer l’histoire, avec ces monuments qui ne changent pas, qui ne s’adaptent pas en fonction des différentes façons de voir. Ce qui nous intéresse, c’est redéfinir la façon dont on met en scène l’histoire », explique Yimi Poba-Nzaou, coordonnatrice des collaborations publiques pour le CCA.
À Montréal seulement, deux espaces autrefois occupés par des monuments à la gloire de personnages historiques sont pour l’instant vacants. Non loin de la statue de John A. Macdonald sur la place du Canada, la statue de James McGill, illustre fondateur de l’Université du même nom, a également été discrètement retirée des regards cet été après avoir été la proie de vandales, qui dénonçaient ainsi le fait que McGill ait été propriétaire d’esclaves.
Dans les deux cas, les statues ont été depuis mises à l’abri de la vindicte populaire, celle de Macdonald par la Ville de Montréal, qui la restaure depuis dans un endroit sûr, et celle de McGill par l’Université elle-même. Et dans les deux cas, les autorités responsables demeurent évasives sur la façon dont elles entendent réintégrer les monuments profanés.
Un dossier flottant
Du côté de la Ville de Montréal, on ne s’avance pas encore sur la façon dont on entend réaménager le socle et la statue de John A. Macdonald. On dit concevoir « présentement un Cadre d’intervention en reconnaissance, en concertation avec des partenaires et des experts. Ce cadre prévoit un mécanisme d’évaluation afin qu’une reconnaissance passée, comme un monument, puisse être évaluée dans certaines situations exceptionnelles, par exemple lorsqu’elle commémore un personnage jugé offensant à un groupe de personnes ».
« Le dossier du monument à John A. Macdonald est donc en veille, d’ici à ce que le Cadre d’intervention en reconnaissance soit adopté par les instances, résume Fabienne Papin, des relations publiques de la Ville. Une fois le Cadre d’intervention en reconnaissance adopté, un comité consultatif en reconnaissance, dont la composition n’est pas déterminée à ce jour, sera formé pour se pencher sur les dossiers de reconnaissance dans leur ensemble, dont le monument à Sir John A. Macdonald. »
De son côté, l’Université McGill a fait savoir qu’elle n’avait pas « encore déterminé si [la statue] sera réinstallée au même endroit ».
Vague de fond
Ce vent de remise en question de monuments historiques souffle sur toute l’Amérique.
En mars dernier, la Ville de Regina recommandait de déplacer la statue de John A. Macdonald du parc Victoria. Quelques semaines plus tard, le conseil municipal de Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, décidait également de retirer un monument à l’effigie de Macdonald. À Winnipeg, deux statues, l’une de la reine Victoria et l’autre de la reine Élisabeth, ont été retirées après avoir été la cible de vandalisme lors de la fête du Canada l’été dernier.
À l’entrée du Museum of Natural History de New York, une statue qui montrait depuis 1940 Theodore Roosevelt à cheval, suivi d’un Autochtone et d’un Afro-Américain à pied, portant ses armes, sera finalement relocalisée à la bibliothèque présidentielle Theodore-Roosevelt. Et au Royaume-Uni, une statue du marchand d’esclaves Edward Colston a été retirée de la place publique à Bristol après avoir été jetée dans l’eau au moment des manifestations ayant suivi la mort du Noir américain George Floyd. Elle a depuis été relocalisée, couverte de graffitis, dans le cadre d’une exposition au Musée de Bristol.
Il y a différentes façons de mettre en perspective les monuments historiques pour témoigner de l’interprétation plurielle de l’histoire.
Et c’est parce que cet enjeu est international que le CCA a décidé cette année d’ouvrir sa Charrette aux étudiants étrangers, même si les équipes lauréates sont toutes basées au Québec. « Nous avons choisi ce thème parce que les architectes devront relever cette question d’actualité : “que faire des monuments mémoriaux dans l’espace public ?”» dit Yimi Poba-Nzaou.
Ces nouvelles mises en scène peuvent se faire de différentes façons. Dans certains cas, on propose de juxtaposer des projections sur les monuments existants, ou encore de les emballer dans du tissu pour les mettre en perspective.
Le projet gagnant de la Charrette du CCA, conçu par Lisa Hadioui, Juan Fernando Barrionuevo et Kamelia Djennane, avait par ailleurs la particularité de pouvoir être mis en place même si la statue de John A. Macdonald revenait sur son socle.
« C’est peut-être un compromis possible, dit Ronald Rudin, professeur émérite du Département d’histoire de l’Université Concordia et initiateur du projet de Charrette. C’est une des facettes intéressantes du projet. Moi, je pense que l’absence de Macdonald donne un message assez clair. Mais si la Ville pense que c’est important de réinstaller Macdonald, nous pouvons avoir les deux en même temps. »