Le parti d’Éric Duhaime retire une publicité montrant Paul Bougon

Le Parti conservateur d’Éric Duhaime a utilisé un extrait des Bougon pour l’une de ses publicités sans demander l’accord des créateurs de la série culte.

Ces derniers ont d’ailleurs bondi lorsqu’ils ont pris connaissance de la vidéo, consternés que l’on utilise leur œuvre pour promouvoir un mouvement politique aux antipodes des idées que voulait véhiculer l’émission à l’origine.

La formation politique de droite a finalement retiré la vidéo sur Facebook en fin de journée mardi, en indiquant par courriel qu’il s’agissait « d’une erreur de bonne foi » et en s’engageant à « revoir la notion de droits d’auteur avec le bénévole qui gère la page ».

Publiée dimanche, la publicité reprenait presque intégralement une scène d’un épisode de la deuxième saison dans laquelle Paul Bougon (Rémy Girard) ridiculise Mononcle (Claude Laroche) parce que celui-ci songe à s’acheter honnêtement une voiture plutôt que de la voler. L’extrait se terminait sur fond de musique rock avec, en gros plan, un message rappelant que le Parti conservateur du Québec promet de cesser d’imposer la TVQ sur les biens usagés, dont les voitures d’occasion.

« Certes, il est discutable qu’un bien qui a été taxé soit retaxé à la revente. Débattons-en. Mais les artistes vivent de leurs droits d’auteur. Si Duhaime n’aime pas se faire fourrer en achetant un produit usagé, il devrait commencer par donner l’exemple en ne fourrant pas les artistes », a répondu avec une pointe de sarcasme le scénariste des Bougon, François Avard, après avoir visionné la publicité.

Pas d’autorisation

Homme résolument de gauche, François Avard reconnaît ne pas être un grand admirateur de l’ancien animateur de radio de Québec devenu politicien. Même si Éric Duhaime lui avait personnellement demandé la permission, il aurait refusé que son parti se serve d’un extrait de sa série à des fins publicitaires.

Le hic, c’est que le Parti conservateur du Québec n’a pas sollicité d’autorisation avant de reprendre un segment de la série. De quoi faire sortir de ses gonds la coproductrice des Bougon Fabienne Larouche, lorsque le Devoir a porté cette publicité à son attention.

« Il s’agit certainement d’une violation du droit d’auteur et du droit moral. C’est inacceptable, et nous allons entreprendre les démarches nécessaires pour faire en sorte que cette publication soit retirée », avait-elle fait savoir par courriel, quelques heures avant que la formation politique ne l’enlève de sa page.

Domaine public

 

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Les autres œuvres sont soumises en tout temps à la Loi sur le droit d’auteur, sauf pour quelques exceptions, par exemple quand elles sont parodiées ou critiquées.

Il s’agit certainement d’une violation du droit d’auteur et du droit moral

 

Qui plus est, la publicité du Parti conservateur du Québec entrait possiblement en conflit avec la notion de droit moral, comme François Avard rejette fermement le discours de cette formation politique. « Le droit moral reconnaît qu’il y a un lien intime entre l’artiste et son œuvre au-delà des considérations économiques. Ça inclut le droit d’empêcher qu’une œuvre soit associée à une cause qui porte préjudice à l’honneur ou à la réputation de l’artiste », explique Me Érika Bergeron-Drolet, avocate spécialisée en propriété intellectuelle.

Tout un passage

 

Selon elle, les enjeux entourant cette publicité ne sont pas sans rappeler ceux qui avaient été soulevés par le chanteur Pierre Lapointe en 2013. À l’époque, l’auteur-compositeur-interprète s’était insurgé dans les médias parce que le Parti libéral du Québec avait fait jouer son titre Je reviendrai lors de son congrès à la chefferie sans l’avertir, d’autant qu’il avait durement critiqué la position du gouvernement Charest un an auparavant, lors de la grève étudiante.

Dans le cas de la publicité du Parti conservateur du Québec, c’est carrément tout un passage de la série télévisée qui a été sorti de son contexte.

Joint depuis l’Alberta, où il effectue un voyage à teneur économique et politique, Éric Duhaime n’a pas voulu répondre à nos questions, se contentant de reprocher au Devoir de ne pas avoir affecté de journaliste au congrès de son parti la fin de semaine dernière. La Presse canadienne s’était toutefois chargée de couvrir l’événement pour le journal.

Une série de droite ?

Même si la vidéo publicitaire des conservateurs a été supprimée, plusieurs autres passages de la série diffusée entre 2003 et 2005 ont été récupérés sur les réseaux sociaux par des groupes de droite, notamment les monologues de Paul Bougon où il tire à boulets rouges sur le système qui, selon lui, fonctionne dans l’intérêt d’une petite élite.

« Les Bougon, c’était anti-gauche, anti-droite, mais avec une tendance à gauche. Notre but avec la série, ça a toujours été d’amener le monde à gauche contre le système », souligne pourtant François Avard.

Or, avec le regard cynique qu’elle pose sur la société québécoise, cette comédie dramatique a-t-elle plutôt nourri la montée d’un populisme de droite, qui s’incarne aujourd’hui dans le Parti conservateur d’Éric Duhaime ?

L’auteur de la série dévie du sujet lorsqu’on lui pose la question, mais assure pour autant qu’il n’écrirait pas Les Bougon différemment aujourd’hui afin que les téléspectateurs en saisissent mieux le propos.

« L’avantage des Bougon, ça a toujours été qu’on prêchait à des gens qui n’étaient pas convertis. Je me rappelle de gens qui me félicitaient à l’épicerie parce qu’ils pensaient qu’on riait des BS, alors que ce n’était pas du tout ça.

« On se disait qu’avec la série, on pourrait les amener plutôt à s’indigner du système », se rappelle le scénariste, qui, 15 ans plus tard, ne croit plus que la télévision puisse vraiment faire évoluer les mentalités.

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