Des karaokés bondés au premier soir de leur réouverture
Moment tant attendu au Québec : l’une des dernières restrictions de la pandémie a été levée lundi. Les karaokés et les discothèques ont pu rouvrir leurs portes aux oiseaux de nuit, après plus d’un an d’interdiction. Le Devoir est allé à la rencontre de Montréalais qui bouillonnaient d’impatience de montrer leurs nouveaux pas de danse et de pousser la note avec leurs amis.

1
Jacques Lafleur monte lentement sur la scène du Normandie, se place derrière l’écran de plexiglas, installe son couvre micro avec précaution, enlève son masque et prend une inspiration. Les premiers accords de « Ça va pas changer le monde » de Joe Dassin se font entendre et voilà que Jacques embarque d’une voix assurée, sans aucune fausse note. L’homme de 68 ans, un habitué du karaoké depuis près de 10 ans, est venu avec son ami Christian Cherrier lundi soir. « On venait souvent ici avant la pandémie, une ou deux fois par semaine. On avait hâte de pouvoir chanter à nouveau. On n’a pas hésité une seconde quand on a su que c’était autorisé, on devait être là ce soir », lance ce dernier, qui attendait impatiemment de chanter à son tour une chanson de Céline Dion. Adil Boukind Le Devoir

2
Le répertoire de Céline Dion a d’ailleurs connu un franc succès en ce début de soirée, non sans déplaire au public plus enjoué que jamais. Installés au bar, certains clients qui n’avaient pas encore osé prendre le micro chantaient à tue-tête les paroles de la diva québécoise, les yeux rivés sur l’écran devant eux. L’ambiance était définitivement à la fête. « On a réussi à passer à travers, la gang », de lancer une amatrice de chant en reposant son micro. Adil Boukind Le Devoir

3
Lors du passage du « Devoir », peu avant 21 h, le bar Le Normandie était déjà complet. « Les gens ont commencé à appeler pour réserver dès que le gouvernement a annoncé la bonne nouvelle début novembre », explique le propriétaire, Pascal Lefebvre, soulagé de voir son établissement reprendre vie. Les derniers mois ont été difficiles, dit-il. Le lieu a dû se transformer en simple bar et a perdu de fidèles clients qui venaient avant tout pour pousser la note. « Il était plus que temps que ça recommence. On nous a beaucoup blâmés mais c’était le Kirouac le problème », insiste-t-il en faisant référence à ce bar de Québec à l’origine d’une éclosion de plusieurs cas de COVID-19. Par la suite, tous les karaokés ont dû fermer à peine quelques mois après leur réouverture. Adil Boukind Le Devoir

4
Sur scène, les chanteurs prenaient le micro les uns après les autres, sans perdre une minute, partagés entre l’excitation et la fébrilité. Au tour de Sarah Leblanc-Gosselin, le registre a totalement changé, la comédienne de 29 ans ayant décidé d’interpréter « White flag » de Dido. « Je chante vraiment beaucoup dans la vie. Ça me fait du bien », confie-t-elle, une fois de retour à sa table avec ses amis. « Ç’a été difficile d’attendre aussi longtemps. Alors j’ai fait des covers sur Facebook pour passer le temps. Mais il n’y a rien de mieux que remonter sur la scène d’un karaoké », insiste-t-elle. Adil Boukind Le Devoir

5
Quelques rues plus loin, il fallait jouer du coude pour espérer dénicher une place au Vieux Saint-Hubert. Aux tables, pas de place pour les discussions, les clients sont venus pour une seule chose : chanter. « À boire, à boire, car j’ai la gorge en feu. À boire à boire pour les couples malheureux », criaient-ils à l’unisson, se dandinant sur leur banquette au rythme des paroles de ce succès des Cowboys Fringants. Pendant ce temps, le gérant, Dominic alternait les rôles à une vitesse incroyable, passant de portier scanneur de passeports sanitaires, à ramasseur de pichets de bière vide pour finir comme animateur de soirée, poussant la chansonnette à l’occasion. « Grosse soirée aujourd’hui, on est bien occupé », lance-t-il entre deux missions, visiblement bien plus heureux de vivre ce moment, qu’exténué par l’ampleur de la tâche. Adil Boukind Le Devoir

6
Du côté du Quai des brumes, dans le Plateau Mont-Royal, le public était plus timide devant la performance du groupe musical Skatton Club. « On sent une petite gêne dans la salle. Mais nous, fallait qu’on aille danser même si on se sentait pas mal observés », lance Amélie Côté venue se déhancher avec son ami Yanic Viau. « Ça n’a pas rapport d’écouter du ska sans danser », insiste ce dernier, exprimant sa joie de pouvoir à nouveau retourner sur une piste de danse. « Ce groupe est venu jouer plusieurs fois cet automne. On a passé notre tour, car on ne se voyait pas rester assis sur une chaise avec cette musique-là. Ça fait du bien de se défouler et de retrouver toutes ces sensations. » Adil Boukind Le Devoir

7
Un plaisir partagé par les membres du groupe Skatton Club. « Ça nous prend cette énergie-là. C’est fantastique de retrouver ça. J’ai envie de voir ça comme une renaissance », confie pendant sa « pause syndicale » le chanteur du groupe, André Désilet. S’il reconnaît avoir eu « au moins » la chance de faire des représentations durant les derniers mois, il ne cache pas avoir trouvé l’ambiance un peu morose alors que le public était attaché à sa chaise. Adil Boukind Le Devoir

8
À l’étage au-dessus, la soirée a commencé relativement tôt pour un lundi alors que dès 22 h 30 plusieurs dizaines de personnes ont foulé la piste de danse de la Rockette. Sur les airs de « Voyage, voyage », ils étaient nombreux à bouger leur corps comme si la pandémie n’avait jamais existé. Bien sûr, il y a encore le masque, que les danseurs portaient d’ailleurs assidûment sur leur visage, ne prenant même plus la peine de l’enlever au moment de prendre un selfie pour immortaliser ce moment. Adil Boukind Le Devoir

9
« Le masque, c’est pas l’idéal, mais si ça prend ça pour pouvoir rouvrir et danser, on va le faire », laisse tomber Andréanne, 26 ans. Elle est venue danser à la Rockette, bien qu’elle travaille tôt mardi matin, avec ses amies Marine et Andréanne. Cette dernière avait quant à elle une entrevue professionnelle le lendemain. « On est là pareil, si c’est pas la preuve qu’on avait vraiment envie de danser, lance-t-elle en riant. On s’ennuyait beaucoup de danser. Seule, dans son salon, c’est vraiment pas la même chose. On se devait d’être là pour la première danse à Montréal. » Adil Boukind Le Devoir

10
À quelques centaines de mètres plus loin, sur l’avenue Saint-Laurent, l’ambiance était bien différente au Belmont, bien que tout aussi enivrante. Éclairés par les jeux de lumières fluorescents, les danseurs sautaient sur place au rythme de la musique électronique. « Il était temps Montréal ! », crie parmi la foule Benoît, 20 ans, rappelant avec amertume que la métropole fait partie des dernières à avoir rouvert ses boîtes de nuit sur la planète. « J’avais hâte. La pandémie est arrivée peu de temps après mes 18 ans, je n’ai jamais vraiment pas pu en profiter », raconte le jeune homme, bien décidé à rattraper le temps perdu. Adil Boukind Le Devoir