La Maison Chevalier a bien failli rester un bien public

L’acquisition de la Maison Chevalier par le Groupe Tanguay continue de mettre sur la sellette la ministre Nathalie Roy, pressée lundi de faire marche arrière afin que ce bâtiment emblématique du Vieux-Québec reste du domaine public. Et pour cause, sa vente à des intérêts privés n’est pas la seule option qui s’est offerte au ministère, a-t-on appris.
La Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a confirmé au Devoir qu’elle comptait sérieusement reprendre la Maison Chevalier, ce qui aurait permis à l’État de rester propriétaire des lieux, et au public de continuer à pouvoir visiter la cave voûtée de ce joyau patrimonial.
Le ministère de la Culture avait même entrepris des discussions à ce sujet avec cette société d’État en 2016. À l’époque, on savait déjà que le Musée de la civilisation cherchait à se départir de l’édifice, jugé trop obsolète pour l’organisation d’expositions.
« La SODEC a ainsi exploré un projet pour redonner [à la Maison Chevalier] une vocation qu’elle avait déjà eue par le passé, soit celle d’être un hôtel. Nous avons engagé une firme d’architectes pour nous assurer de la faisabilité du projet et avons vérifié l’intérêt d’un hôtelier d’expérience à administrer ce futur hôtel », a relaté par courriel Johanne Morissette, directrice des communications de la SODEC.
Projets tombés à l’eau
La SODEC apparaissait comme un choix logique pour prendre la relève du Musée de la civilisation, puisque sa division immobilière gérait déjà une bonne partie des bâtiments patrimoniaux situés autour de la Maison Chevalier. Or, la SODEC a fait un pas de recul dans son projet d’hôtel quelques mois plus tard lorsqu’elle a appris que la Ville de Québec avait également amorcé des démarches pour acquérir le bâtiment.
L’administration Labeaume voulait entre autres y installer le siège social de l’Organisation des villes du patrimoine mondial (OVPM), qui louait déjà des bureaux à l’intérieur de la Maison Chevalier. Qu’importe, ce projet aurait également permis à l’édifice historique de demeurer sous gestion publique plutôt que de passer aux mains du privé. Mais la Ville a finalement fait faux bond.
« La Ville a revu ses plans, compte tenu des démarches entamées pour l’acquisition d’Espace 400e, qui s’est concrétisée au printemps 2020. La Ville avait annoncé son intention d’y regrouper l’OVPM et Destination Québec cité », explique par courriel la Ville de Québec.
La SODEC aurait-elle alors pu revenir à la charge avec son projet hôtelier ou une autre initiative ? Impossible de le savoir : ni la société d’État ni le ministère de la Culture n’étaient en mesure de dire si des discussions avaient repris à ce sujet à la suite du désistement de la Ville.
Ministre critiquée
Chose certaine, la famille Tanguay a, elle, déposé une offre d’achat en 2020 sur la Maison Chevalier par l’entremise de l’une de ses filières immobilières, Gestion 1608. D’abord approuvée par le Musée de la civilisation, l’offre a ensuite obtenu le sceau de la ministre de la Culture, Nathalie Roy, qui disposait pourtant de leviers en vertu de la loi pour bloquer cette transaction, comme la vieille maison est classée patrimoniale.
Avant de prendre sa décision, la ministre n’a pas non plus demandé un avis au Conseil du patrimoine culturel du Québec, un outil qui est à sa disposition pour l’aider à trancher dans ce genre de cas, mais qu’il n’est pas obligatoire de consulter.
« La proposition du Groupe Tanguay, qui s’engageait à respecter toutes les conditions et le cadre réglementaire, s’est avérée une offre de grande valeur à la juste valeur marchande du lieu, conforme à l’évaluation municipale », a réitéré le Musée de la civilisation, toujours convaincu d’avoir fait le bon choix malgré la colère qui persiste depuis que la vente a été rendue publique.
D’ailleurs, après avoir publié une lettre ouverte, lundi, des opposants en tous genres ont tenu à adresser un message à la ministre Roy lors d’une conférence de presse organisée en matinée devant la Maison Chevalier. Parmi eux : l’ancienne ministre péquiste de la Culture Agnès Maltais a invité Mme Roy à s’inspirer de son collègue à la Santé, Christian Dubé, qui a renoncé la semaine dernière à l’échéancier prévu pour la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé.

« J’ai l’impression de m’en faire passer une petite vite », a déclaré Mme Maltais, ancienne députée de la circonscription de Taschereau, où la Maison Chevalier est située.
Même son de cloche pour Philippe Dubé, professeur associé de muséologie à l’Université Laval. « Je ne comprends pas pourquoi un musée d’État [pourrait] vendre un bien collectif. Et comment le ministère peut laisser passer cette transaction sans fléchir ? » s’insurge celui qui a travaillé à l’ouverture du Musée de la civilisation à la fin des années 1980.
Le musée a pris possession de la Maison Chevalier en 1999. Cette dernière faisait partie du parc immobilier de l’État québécois depuis 1956. À mille lieues de l’image de carte postale que l’on connaît aujourd’hui, le secteur de la place Royale était alors en pleine décrépitude, et le gouvernement Duplessis avait entrepris une vaste entreprise de restauration. « Les Québécois ont mis beaucoup d’argent pour restaurer la Maison Chevalier », insiste d’ailleurs Philippe Dubé, découragé par la tournure des événements.
Montant à préciser
Le Groupe Tanguay, qui s’engage à respecter les normes patrimoniales, compte y déménager les bureaux de ses activités immobilières, ce qui attirera une quarantaine d’employés dans le Vieux-Québec. La vente devrait être officialisée à la fin octobre, date à laquelle sera divulgué le montant exact de la transaction. Selon nos informations, on parle d’un montant situé entre 2 et 2,5 millions, alors que la maison est évaluée à 2,2 millions de dollars.
J’ai l’impression de m’en faire passer une petite vite
Si ce montant s’avère exact, il ne serait pas très élevé, selon une courtière immobilière bien au fait du marché. « Je ne voudrais pas dire que c’est le deal de l’année, mais je considère que ce n’est pas payé cher », commente Lynne Beaudet, rappelant que les acheteurs se font plutôt rares dans le Vieux-Québec depuis le début de la pandémie.