«Après Céleste»: dans la forêt des enfants envolés

Ce n’est pas parce que ça arrive une deuxième, ou une troisième fois que ça fait moins mal. « Le silence des autres était encore plus lourd cette fois-là, comme si c’était devenu normal, comme si on aurait dû être habitués, après la première fois, alors qu’on avait plus besoin de réconfort, de sollicitude, ou même de douceur », confie la narratrice d’Après Céleste, le troisième roman de Maude Nepveu-Villeneuve (Partir de rien, La remontée).
Après avoir perdu à nouveau un enfant, Dolorès se réfugie seule dans le bungalow désert de ses parents, à Moreau, le village anonyme de sa jeunesse, où elle s’assomme de séries télé, entre la rédaction de deux articles sur les splendeurs des comptoirs en granit. Elle renouera avec son ancienne gardienne, l’attendrissante madame Labelle, d’une gentillesse digne d’un personnage de livre pour enfants. Elle fera aussi connaissance avec Olivia, la petite fille de la maison d’en face, orpheline de mère. Elles soigneront toutes les trois ensemble un oiseau à l’aile cassée, apparu d’on ne sait trop où. Peut-être de la forêt qui, étrangement, semble se déployer au sous-sol ?
En donnant vie à un trio aussi archétypal — la vieille dame douce, l’enfant mélancolique et émerveillée, la jeune femme qui devra retrouver une part de son innocence à leur contact —, Maude Nepveu-Villeneuve aurait aisément pu être avalée par le trou noir des bons sentiments mensongers. Pourquoi Après Céleste parvient-il à l’éviter ? D’abord parce que son autrice connaît visiblement intimement ces femmes et leurs secrets, mais surtout parce que son écriture d’une rare finesse se méfie de la sensiblerie, pas de l’émotion. À la manière d’une Fanny Britt, elle fixe en des phrases d’apparence simples, parce qu’élégantes, bien que toujours denses, certains de ces paradoxes du cœur que l’on croit intraduisibles. Elle refuse de croire qu’un roman ne peut pas à la fois être réconfortant et dire la vérité.
Et si, comme le précise le communiqué de presse, Maude Nepveu-Villeneuve « excelle à parler avec justesse d’enjeux tabous », dans ce cas-cile deuil périnatal, ce n’est jamais avec la maladresse de celle qui souhaite forcer un message, mais avec toute la perspicacité d’une écrivaine qui sait que les livres qui se déposent en nous sont souvent ceux qui se satisfont de ne pas tout dire.
Après Céleste parle ainsi de plusieurs deuils : celui d’un enfant, bien sûr, ainsi que celui de l’intensité des amitiés du début de la vie. Deuil aussi d’une certaine idée de soi, érodée par les tristesses accumulées et par la conscience douloureuse que rien ne dure. « Il me semble que chaque fois que je raconte un souvenir, il devient un peu plus récit et un peu moins mémoire, et que tout ce qui ne se raconte pas, les sons, les sensations, tout cela disparaît progressivement au profit des mots […] J’ai peur de raconter Céleste, son existence courte, les petites caresses qu’elle faisait dans mon ventre comme les ailes d’un papillon, sa naissance et sa mort emmêlées, j’ai peur qu’elle disparaisse une seconde fois dans les mots. »
Roman aussi poignant que consolateur, au creux duquel se trouve la promesse qu’il est possible de survivre aux chagrins les plus vertigineusement dévastateurs, Après Céleste ne nie pas pour autant que de perdre un enfant, même à la naissance, c’est toujours perdre une partie de soi.