Derrière les barreaux des prisons pour femmes

« Dénombrement ! ». C’est le cri que lancent, plusieurs fois par jour, les gardiennes de prison pour femmes, pour s’assurer que les détenues sont toutes présentes.
« Le dénombrement, ça arrive quatre fois par jour, des fois plus, quand ils cherchent une détenue. Quand les screws crient “Dénombrement !”, il faut que t’ailles te mettre devant la porte de ta cellule », raconte Sylvie L., une femme en réhabilitation sociale qui participe au projet de vidéo Dénombrement, produit par le collectif Art Entr’Elles, sur le vécu des femmes judiciarisées. « Ce que le dénombrement fait résonner, c’est qu’on est cataloguées, pas comme des êtres humains, mais comme des numéros », poursuit Sylvie L.
Le projet Dénombrement a permis à des femmes en maison de transition de s’associer à des artistes pour créer chacune une vidéo qui témoigne de leur quotidien carcéral. Dans les courtes vidéos, présentées cette semaine à la galerie Ausgang Plaza, rue Saint-Hubert, dans le cadre de la semaine de la réhabilitation sociale, on entend des femmes parler de l’extrême solitude de la prison et des répercussions sur leur vie.
« Fondé en 2009, le collectif se présentait, au départ, comme un regroupement de femmes artistes qui disaient non à la violence, non à l’intolérance et non à la pauvreté », dit la coordonnatrice d’Art Entr’Elles, Anne-Céline Genevois.
C’est dans la maison de transition Thérèse Casgrain que le projet Dénombrement a pris naissance. Six femmes — Christine, aujourd’hui décédée, Carole, Sylvie, Joanne, Michèle et Lise — ont tenté de partager un peu de leur quotidien carcéral. Certaines images ont été tournées à la prison Leclerc.
Solitude et éloignement
D’abord, on sent la solitude et l’éloignement, le rapport aux proches qu’on finit par craindre de revoir, tant la douleur et la honte sont grandes. Carole se souvient du bruit que ses chaînes faisaient sur le plancher de l’église lorsqu’elle a assisté aux funérailles de sa mère. Michèle, qui n’a jamais pu revoir son amoureux au cours des 24 années qu’elle a passées en prison, chante encore leur chanson préférée. Joanne, qui trouve chaque fois douloureuses les retrouvailles avec ses proches, a dit à ses enfants que « maman était à l’hôpital », pour leur éviter plus de souffrance.
Aujourd’hui, la peine carcérale de ces femmes est derrière elles. Et certaines assurent qu’elles ne retourneront jamais en prison.
« Les activités du collectif, ça a changé ma vie », dit Sylvie L., qui raconte avoir notamment découvert la compassion, elle qui se définissait autrefois comme une « femme dure », active dans le trafic de drogue. « C’est sûr que je ne retournerai pas dans mon ancienne vie », dit-elle.
En prison, elle a été frappée par sa rencontre avec sœur Marguerite, une religieuse qui « n’oublie pas les fêtes des détenues » et qui leur permet parfois de téléphoner dans son bureau quand elles n’ont plus d’argent pour le faire. De son incarcération, Sylvie L. se souvient pourtant aussi de l’eau noire qui refoule dans les éviers, de la nourriture de mauvaise qualité et du chaos des prisons pour femmes, où, dit-elle, les détenues sont placées ensemble indépendamment de leur état mental. Mais ce n’était pas, cette fois, le sujet des vidéos.
Capables de créer
Au départ, plusieurs femmes se disaient incapables de réaliser une œuvre, dit Anne-Céline Genevois. « Mais finalement, on va dire qu’elles embarquent, elles prennent des risques et se dévoilent tout au long du processus de création. »
Toute la journée de jeudi, une conférence se tient à la galerie Ausgang sur les enjeux et les conséquences de la prise de parole des femmes judiciarisées.