Les salles de spectacle ne se remplissent pas

Depuis vendredi dernier, les salles peuvent rouvrir au maximum de leur capacité, mais les spectateurs ne sont pas davantage au rendez-vous.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Depuis vendredi dernier, les salles peuvent rouvrir au maximum de leur capacité, mais les spectateurs ne sont pas davantage au rendez-vous.

À jauge réduite, les salles de spectacle ne se remplissaient pas. Depuis vendredi dernier, avec l’assouplissement des mesures sanitaires, elles peuvent rouvrir au maximum de leur capacité. Les spectateurs ne sont pas davantage au rendez-vous. « Ça fait 40 ans que je fais ce métier. Je sais quel spectacle attire qui, combien de spectateurs attendre, et quoi programmer à quel moment. Là, tout d’un coup, je ne sais plus rien. Je ne peux plus rien prévoir », illustre Isolde Lagacé, de la salle Bourgie.

« C’est étonnant de voir à quel point la réaction du public est froide », poursuit la directrice artistique et générale de la salle de concert du Musée des beaux-arts de Montréal. « Même des grands noms qui, d’habitude, affichent facilement “complet”, ne remplissent même pas les salles à moitié. » Mme Lagacé estime rouler actuellement avec le tiers de son public habituel.

À l’Association professionnelle des diffuseurs de spectacle (RIDEAU), même constat. « Il y avait une certaine reprise, avec des ventes intéressantes au printemps. Là, on voit une certaine stagnation. Même un recul », indique la directrice générale, Julie-Anne Richard. « Nos membres nous rapportent des annulations depuis que les gens savent qu’ils doivent porter le masque. »

Idem au Conseil québécois du théâtre (CQT), où « environ 50 % des salles estimaient les ventes décevantes avant l’assouplissement des mesures sanitaires. Même là où ça vend bien, les ventes se font vraiment à la dernière minute, la veille ou le jour même. Donc on a une prévisibilité nulle », souligne Catherine Voyer-Léger, directrice générale du CQT.

Ces achats de dernière minute, RIDEAU, la salle Bourgie et l’Agora de la danse les remarquent aussi. « C’est dans les 48 heures avant le concert que les ventes décollent ou non. Et ça reste encore imprévisible », selon Mme Lagacé. Mêmes achats de dernière minute au théâtre Jean-Duceppe, qui s’en tire autrement plutôt bien, selon ses dires. Mais là comme ailleurs, on ne reconnaît pas le public habituel.

Avec Manuel de la vie sauvage, Duceppe a connu une de ses supplémentaires en jauge pleine avec masque, alors que toutes les autres représentations se sont tenues dans une salle avec une distance entre les spectateurs, sans masque. « Après 27 représentations, nous avons accueilli 11 194 spectateurs, dont 1 075 étudiants et 833 jeunes de 18-35 ans inscrits à “Ton âge = ton prix” », précise Marie-Claude Hamel, directrice des communications. « Les abonnés, qui comptent habituellement pour la moitié de l’assistance, ne représentent que 14 % de l’ensemble de ce public. »

Choisir de garder les distances

 

La directrice de l’Agora de la danse, Francine Bernier, a décidé de conserver la distanciation entre ses sièges jusqu’en janvier prochain. Selon RIDEAU, l’Agora est loin d’être le seul diffuseur à faire ce choix. « Plusieurs membres nous ont signalé qu’ils ne changeront pas leurs dispositions de salle. Le public les a déjà achetées, tout comme un certain contexte ; et le lien avec la clientèle est déjà très fragilisé, à la suite du nombre de spectacles annulés ou reportés. Il faut prendre soin des spectateurs. Et du personnel de billetterie… »

Jacques Matte, du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, a pris une décision semblable. « On se retrouve avec environ 500 à 550 places plutôt que 700, pour maintenir une distanciation entre les sièges. La clientèle est encore inquiète, on ne peut pas arriver en un claquement de doigts d’une salle avec distanciation à une salle où tu te retrouves à côté de parfaits inconnus », estime-t-il.

« Moi, j’aurais voulu garder les mêmes conditions jusqu’en décembre : la distanciation et pas de masque, indique Francine Bernier. Mais les règles ne nous le permettent pas. Alors on va garder la distanciation. Pour le masque, on n’a pas le choix. Je pense que la pandémie va durer et qu’il faut apprendre à moduler les décisions pour qu’elles soient bonnes autant pour le Centre Bell que pour les petites salles de cent sièges. »

Les décisions actuelles ne seraient pas idéales pour toutes les salles ? « C’est ça. Surtout pour les petites salles, poursuit la directrice de l’Agora de la danse. Pourquoi ne pas attendre à janvier, quand toutes les programmations reprennent, pour faire des changements ? » demandent Mmes Lagacé et Bernier chacune de son côté.

« Pourquoi faire tomber de nouvelles mesures pour les salles de spectacle un vendredi soir ? questionne ensuite Mme Bernier, diffuseur en danse contemporaine. On est en pleine série de représentations, les shows se jouent jusqu’au samedi, est-ce qu’on peut finir la semaine avec les mêmes consignes que celles avec lesquelles on a commencé, au moins ? Ça pourrait tomber un lundi, ça serait plus facile à appliquer pour tout le monde. »

 

Hits et show de stars

Lundi, c’était le spectacle très attendu des stars de la pop latine Ricky Martin et Enrique Iglesias au Centre Bell. Qui, lui, est ravi de la nouvelle situation. « Il y avait 14 885 sur une capacité de 15 000 spectateurs, c’était donc presque complet. Le public était aux anges de retrouver un peu de normalité et de vivre ce spectacle “en vrai’’», selon Christine Montreuil, des relations médias pour evenko.

Quelles sont les causes qui forment un mur pour le public ? Le port du masque revient dans toutes les bouches. « C’est chirurgical, les analyses qu’il faut faire, avance Julie-Anne Richard. Plusieurs hits n’ont pas été programmés cet automne, les diffuseurs ont voulu les garder pour le retour à la normale. Certains en ont profité pour prendre plus de risques ; d’autant qu’ils savaient qu’ils pouvaient s’appuyaient sur une aide en billetterie. Mais ça fait que ça vend moins. »

Ainsi, les mesures d’aide à la billetterie — et tous s’accordent pour dire qu’au Québec, elles ont été généreuses déjà — restent essentielles aux yeux des diffuseurs. Elles s’appliqueront jusqu’au 14 novembre inclusivement, selon le cabinet de la ministre de la Culture. « Les derniers détails des mesures à venir après le 14 novembre sont discutés présentement avec le CALQ et la SODEC, afin de prendre en considération la nouvelle réalité vécue dans les salles de spectacle. Les clientèles seront informées dès que les mesures seront confirmées », a répondu Marie-Josée Lestage, du cabinet de Nathalie Roy.

Avec Annabelle Caillou

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