«PICTURA DE IPSE»: les fractures d’Hubert Lenoir

L'auteur-compositeur-interprète Hubert Lenoir
Photo: Francis Vachon Le Devoir L'auteur-compositeur-interprète Hubert Lenoir

Ce nouvel album « est un hommage à la musique, parce que la musique ne m’a jamais laissé tomber », affirme Hubert Lenoir. PICTURA DE IPSE : Musique directe, son nouvel album, expose les fissures s’étant formées sur la façade d’enfant terrible du rock québécois de cet auteur-compositeur-interprète qui a le talent de ne laisser personne indifférent. Un disque intime et parfois vulnérable, riche en symboles et en mélodies, un long album passionnément aventureux qui, prévient Lenoir, mènera l’auditeur sur des chemins musicaux inattendus.

À l’évidence, Lenoir et son équipe ont voulu prendre toutes les précautions nécessaires pour nous préparer à ça. La promotion de l’album s’accompagnait d’un long préambule signé Noémie D. Leclerc, l’autrice du roman Darlène, dont son compagnon a imaginé la fulgurante trame sonore rock. Hubert aussi s’est fendu d’un texte de quelques pages révélatrices, inséré dans le livret de l’album. Vers la fin de son avant-propos, il lance cette phrase, écrite en majuscules : « Cet album est fait pour être inconfortable par moments. »

L'album «PICTURA DE IPSE : Musique directe» d'Hubert Lenoir

Au cours de l’entretien qu’il nous accordait la veille du début de sa nouvelle tournée aux États-Unis et en Europe, Hubert Lenoir admet avoir voulu préparer les auditeurs à ce qu’ils allaient découvrir : « Je trouvais important que l’album ait son contexte », d’autant qu’il ne fut annoncé que par deux extraits, le funk-pop Secret et Dimanche soir, chanson pop taciturne faisant de l’œil au hip-hop. Certes, chacun aura sa propre tolérance à l’inconfort, mais entre nous, PICTURA DE IPSE (en partie enregistré à Los Angeles avec les trublions indie rock Mac DeMarco et Kirin J. Callinan) maquille très bien ses prétentions avant-gardistes avec de solides et accrocheuses chansons.

La surprise, alors, est de mesurer l’étendue du registre musical de Lenoir : les guitares électriques qui dominaient le son de Darlène ont été rangées au profit de synthétiseurs et de boîtes à rythmes. Sa chanson se frotte au rap, au jazz, au funk, à la musique électroacoustique. Sa plume demeure familière, comme son pif mélodique, mais sa voix, souvent trafiquée, passée par divers effets sonores spéciaux, emprunte cette fois plus souvent à la prosodie du rap — le compositeur et beatmaker High Klassified collabore à l’écriture de deux chansons, l’extrait Dimanche soir et Octembre, envoûtant duo avec Bonnie Banane.

« Le contexte, c’est aussi pour demander aux auditeurs de prendre le temps de l’écouter », du début à la fin, d’un seul coup, chapitre par chapitre, chacun d’eux séparés par un bref extrait d’une chanson de Robert Charlebois… interprétée par le groupe punk expérimental CRABE. « J’ai une dette à l’endroit de la musique, j’ai besoin de la payer », dit Lenoir à propos de cette forme d’hommage, rendu aussi à Prince : « Sign o’the Times [1987] a été une grosse influence pour cet album, dit-il. Prince est un de mes artistes préférés, depuis longtemps. Il m’a montré que c’est correct, la dualité. Que c’est correct d’être en même temps commercial et expérimental. C’est correct d’être à la fois drôle et sérieux, c’est correct, la fluidité des genres, aussi. »

Tabou

 

« Honnêtement, je n’envisageais pas parler de trucs aussi personnels sur ce disque, dit Lenoir. C’est seulement que ces trois ou quatre dernières années… Tu sais, lorsque quelque chose d’intense vient de t’arriver et que tu te demandes ce qui vient de se passer ? » Le choc de la célébrité est un autre thème de l’album, la sienne s’étant en partie érigée par coups d’éclat. « Je sais que je suis un artiste controversé, et j’en suis fier, commente le musicien. Je pense que filmer un ciel avec des orages, c’est plus intéressant que de filmer un ciel bleu. »

Ces fulgurantes dernières années l’ont déboussolé, reconnaît-il. Pendant la création de l’album, « je sentais que ce que je composais ne se rattachait à rien, que cette musique n’était pas proche de mon cœur ». C’est en fouillant dans tous ces petits enregistrements sonores archivés dans son téléphone, conversations volées, bruits d’ambiances capturés au fil des ans, qu’il a trouvé son fil d’Ariane.

« En réécoutant, ça m’a fait penser au cinéma direct », immense contribution québécoise au cinéma international. « Cette manière qu’ils avaient de parler de la vérité en captant le réel. J’ai eu un moment eurêka : faire de la musique directe », en construisant l’album à partir de ces fragments de vie sonore qui lui donnent ce cachet unique, non sans rappeler la facture soul expérimentale de Blonde (2016), de Frank Ocean.

C’est peut-être à ça qu’Hubert Lenoir fait référence lorsqu’il nous prévient que l’écoute pourrait être inconfortable par moments ; son avant-propos fait notamment état d’une tentative de suicide. « Ces affaires-là, on n’en parle pas, mais je sais qu’y’a plein de monde qui se sent de même aussi. Je me disais simplement que d’en parler pouvait rendre ça moins… tabou. J’ai l’impression que tout le monde fait un big deal à propos de tout, et de mon identité de genre ou mon orientation [sexuelle]. » « Au final, on est tous différents, à notre manière, ajoute Lenoir. J’aimerais tellement que plus de monde puisse vivre ensemble. Je pense que la musique sert à ça. »



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