Toutes pour une et une pour toutes

Bien qu’il s’agisse de luttes distinctes, le combat des féministes et celui de la communauté LGBTQ+ ont bien des similitudes.
Photo: iStock / Montage Le Devoir Bien qu’il s’agisse de luttes distinctes, le combat des féministes et celui de la communauté LGBTQ+ ont bien des similitudes.

Il y a longtemps que les femmes meurent aux mains des hommes et presque aussi longtemps que ces récits sont couchés sur papier. À une époque post-#MoiAussi, où le Québec pleure un quatorzième féminicide, plusieurs autrices se questionnent sur l’évolution du rôle de la femme dans les oeuvres littéraires. Dernier texte d’une série en trois volets.

Alors que dans les années 1960, Michel Tremblay errait entre Le train et Les belles-sœurs, le Québec se réécrivait en passant d’une société régie par la religion à un État moderne. Les changements furent nombreux. Parmi ceux-ci apparaît la deuxième vague de féminisme qui met au premier plan le rôle des femmes au sein de leur famille, ainsi que leur sexualité. Tandis que la violence conjugale et les viols sont condamnés, l’hétéronormativité est quant à elle remise en question, entre autres à travers des œuvres telles que les romans lesbiens Carol de Patricia Highsmith et Rubyfruit Jungle de Rita Mae Brown.

Nombreuses ont été les œuvres mettant en scène des personnages LGBTQ+ au fil des années. Rappelons « Sodome et Gomorrhe », quatrième volet d’À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, la pièce Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams, et celle de Lilian Hellman, Les innocentes. Naturellement, le temps qui a filé entre ces œuvres et celles qui ont suivi a permis de changer la façon de créer et d’aborder les personnages queers ; ils ne sont plus condamnés à souffrir ou à mourir simplement pour leur identité. Pour mémoire, ce n’est qu’en 1952 qu’est paru un roman lesbien qui se termine bien : Carol, de Patricia Highsmith.

Bien qu’il s’agisse de luttes distinctes, le combat des féministes et celui de la communauté LGBTQ+ ont bien des similitudes. La plus grande d’entre elles réside dans l’idée d’abattre ce qui est alors considéré comme la norme dans bien des milieux, notamment celui de la littérature : la perspective masculine cisgenre hétérosexuelle. « Il est difficile d’avoir de l’estime de soi et de se sentir importante quand on n’est représentée nulle part et qu’on est invisibilisée », décrit la sexologue Amélie Stardust (Le chapeau de fruits, Québec Amérique). Celle qui est aussi illustratrice explique qu’avoir des femmes et des membres de la communauté LGBTQ+ comme écrivains, mais aussi comme protagonistes dans les œuvres, est essentiel.

L’autrice India Desjardins (Mister Big ou la glorification des amours toxiques, QA) renchérit : « On en sait trop maintenant, aujourd’hui, sur l’influence et l’impact que nos œuvres littéraires peuvent avoir pour ne pas tenir compte des conséquences de nos écrits. »

À propos des livres où les héros et les héroïnes sont LGBTQ+, Gabrielle Boulianne-Tremblay (La fille d’elle-même, Marchand de feuilles) confie : « Je pense à quand j’avais 12 ans, à quel point j’aurais aimé lire ce genre de livre là pour être bien dans ma peau et me sentir moins seule aussi. » Pour celle qui dit être imprégnée de chacun des personnages qu’elle a lus depuis qu’elle est jeune, il est évident que cette représentation est significative. Elle aurait aimé lire des œuvres telles que La séparation des corps (Druide), d’Émilie Andrewes, ou encore Mon amie Gabrielle, autoédité par Cordélia.

Plus que l’identification aux personnages issus de cette communauté, « les livres qui concernent la réalité LGBTQ+ amorcent des dialogues au-delà des pages ». Pour l’écrivaine et actrice qui s’identifie comme femme trans, cela permet aux personnes cisgenres et hétérosexuelles de mieux comprendre ces réalités qui leur sont inconnues. Elle souligne par ailleurs que son livre La fille d’elle-même a suscité davantage de commentaires positifs de ce type de lectorat plutôt que de membres de la communauté. Comme quoi il y a une réelle volonté d’apprendre et de s’informer, mentionne-t-elle avec un sourire dans la voix.

Amélie Stardust croit aussi que les œuvres LGBTQ+ possèdent ces fonctions d’identification et de représentation. Pour sa part, elle illustre cette idée avec « des miroirs et des fenêtres ». Le premier est un reflet pour quiconque se sent concerné ; la seconde est une façon de voir ce qui se passe dans cet univers pour ceux qui n’y baignent pas.

« Une bonne façon d’aiguiser son empathie, c’est de lire de la fiction », avance l’illustratrice. Elle cite alors l’étude de 2014 du professeur Loris Vezzali et de son équipe de l’Université de Modène en Italie, « The Greatest Magic of Harry Potter : Reducing Prejudice », parue dans le Journal of Applied Social Psychology en 2015. Bien que l’œuvre fantastique ne soit pas « emplie de diversité », comme le mentionne Amélie Stardust, la recherche a démontré que selon les passages lus aux étudiants, leur empathie envers différents groupes discriminés, dont les homosexuels, augmentait.

« Ça prouve que de voir des personnages dans la fiction qui ont un certain comportement, eh bien, ça nous affecte. Voir un personnage qui est queer de façon positive, ça va prédisposer les gens à traiter les personnes qui sont queers dans leur vie avec plus d’empathie et plus d’ouverture », indique l’autrice, en soulignant qu’il est « important d’avoir une bibliothèque qui a autant de miroirs que de fenêtres ».

Les faux pas

 

La description des personnages féminins est parfois telle qu’il ne s’agit pas de vraies personnes, mais bien de simples corps, explique Amélie Stardust en se rappelant les nombreux passages où la description de la poitrine prenait davantage de place que celle de la personnalité ou des ambitions de l’héroïne. « Il y a une très mince compréhension de ce qu’est être une femme », mentionne-t-elle, indiquant qu’il y va de même pour la communauté LGBTQ+.

« Il y a quelques années, dans les seuls romans où il y avait des personnages LGBTQ+, il fallait justifier pourquoi ils n’étaient pas hétéros. C’était toujours des histoires de coming out, des histoires qui racontaient ce qu’ils doivent affronter comme défis en tant que personnes queers. » La sexologue précise que ces gens sont bien plus que leur identité de genre ou leur orientation sexuelle : « Les personnages qui sont gais peuvent aussi vivre des aventures. Eux aussi peuvent être des héros. »

Ces faux pas surviennent lorsque l’auteur ignore la réalité dont il parle. India Desjardins indique que « tout le monde a des angles morts. C’est impossible de ne pas en avoir ». L’important à son avis est de s’informer et de corriger ses erreurs lorsqu’elles surviennent. « Si c’est un sujet que je ne connais pas de l’intérieur, je vais consulter et payer des gens qui ont le vécu et le ressenti sur cette situation-là », ajoute-t-elle.

Gabrielle Boulianne-Tremblay croit que la démarche est en effet la clé d’une œuvre qui s’éloigne des généralisations et des stéréotypes. « Je n’ai rien contre une personne cisgenre qui écrit sur une personne trans, tant qu’elle fait ses recherches et qu’elle s’entoure de personnes concernées par la situation », explique-t-elle. Et il y va de même pour toute œuvre concernant les femmes.

Bien que les auteurs queers amènent une certaine « richesse d’expérience, leurs œuvres ne sont pas nécessairement supérieures à celles de personnes hétéros cisgenres », croit Amélie Stardust. « Par contre, ça fait du bien quand même de voir des fenêtres et des miroirs qui sont différents », conclut-elle.

«Queer coding», «queerbaiting» et «male gaze»

Certains concepts tirés d’écrits et de recherches anglophones permettent d’expliquer les ressentis de certaines communautés lorsqu’elles se sentent incorrectement représentées.

 

L’encodage queer (queer coding) se voit lorsque certains personnages de fiction sont dépeints avec des signes ou des clichés de la communauté LGBTQ+ qui permettent de présupposer de l’identité sexuelle ou de genre. Celle-ci ne sera toutefois jamais explicitement nommée. Outre le fait qu’elle renforce les stéréotypes, cette pratique a longtemps été appliquée aux personnages antagonistes afin que la diversité sexuelle ou de genre soit perçue de façon péjorative. Disney a longtemps créé ses méchants ainsi, tels qu’Ursula dans La petite sirène ou encore Scar dans Le roi lion.

 

Le queerbaiting est une technique de marketing qui a pour but d’appâter une audience issue de la diversité sexuelle en suggérant une relation non hétérosexuelle. Celle-ci ne se réalisera toutefois jamais, ou bien elle sera moquée et très peu abordée.

 

Finalement, le regard masculin (male gaze) est un concept qui considère que le public d’une oeuvre possède une perspective d’homme blanc hétérosexuel cisgenre. En résultent des personnages féminins limités à être des corps et des objets à la disposition des hommes.

 

Ces trois concepts démontrent bien en quoi le combat des femmes et celui de la communauté LGBTQ+ sont semblables : ces deux groupes veulent simplement être représentés décemment.



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