Des défis technos immenses pour le prochain p.-d.g. de BAnQ

Le fait que certaines candidatures pour diriger BAnQ partiraient avec une longueur d’avance au sein du gouvernement de François Legault perturbe les signataires d’une lettre ouverte.
Guillaume Levasseur Le Devoir Le fait que certaines candidatures pour diriger BAnQ partiraient avec une longueur d’avance au sein du gouvernement de François Legault perturbe les signataires d’une lettre ouverte.

Faut-il un spécialiste des bibliothèques actuelles pour diriger Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) ? Quinze professeurs de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal estiment que c’est un impératif. Pendant que BAnQ cherche son prochain président-directeur général, ces spécialistes s’inquiètent, dans une lettre ouverte expédiée au Devoir, du peu d’expertise exigée dans l’affichage du poste.

« Les défis des bibliothèques nationales aujourd’hui sont immenses, affirme en entrevue la professeure adjointe Marie D. Martel. Surtout du point de vue technologique, c’est vertigineux. On ne peut pas mettre comme p.-d.g. quelqu’un qui n’est pas en mesure de les comprendre en profondeur et en finesse. »

BAnQ, rappelle la cosignataire de la missive, c’est aussi des archives nationales, le dépôt légal, la Grande Bibliothèque et l’institution qui veut servir de phare pour toutes les bibliothèques publiques du Québec.

« C’est une équation considérable. Et, p.-d.g. de BAnQ, c’est un mandat de quatre ans. Si ça t’en prend trois pour apprendre comment ça fonctionne, qu’est-ce qu’il te reste comme temps ensuite pour te démarquer ? »

Transition numérique

 

Les signataires sont très inquiets pour BAnQ. Ils la voient ployer sous la menace des « défis colossaux de la transition numérique », écrivent-ils. « Jean-Louis Roy [l’ex-p.-d.g., qui a quitté ses fonctions le 3 juin] décrit une série d’enjeux décisifs pour les fonctions vitales de l’institution : “renouvellement de ses infrastructures numériques dont plusieurs sont obsolètes, garantie du maintien de ses équipes de numérisation ; déploiement d’un dépôt numérique fiable et passage accompli à l’infonuagique ; inclusion de la production numérique dans notre dépôt légal pour assurer la conservation”, en ajoutant que “le Québec accuse un retard sur la quasi-totalité des pays de l’OCDE” sur ces aspects. »

C’est une équation considérable. Et, p.-d.g. de BAnQ, c’est un mandat de quatre ans. Si ça t’en prend trois pour apprendre comment ça fonctionne, qu’est-ce qu’il te reste comme temps ensuite pour te démarquer ?

 

Pour parvenir à relever ces difficiles objectifs, il faut un remplaçant à la hauteur, ajoutent les professeurs et spécialistes. Un p.-d.g. « qui devra se fonder sur une expertise avec des compétences véritables et appropriées pour les affronter […]. Ce n’est pas pour rien que, coup sur coup, les États-Unis et le Canada ont fait récemment le choix de placer à la tête de leurs bibliothèques nationales, soit la Library of Congress et Bibliothèque et Archives Canada, des gestionnaires de carrière qui sont équipées d’une expertise scientifique, disciplinaire, stratégique conséquente. »

Faveurs politiques

 

Deux choses perturbent les signataires dans le processus actuel de remplacement du p.-d.g. de BAnQ. D’abord, pour viser le poste de p.-d.g., ne sont exigées que des « connaissances particulières dans le domaine de la bibliothéconomie, des sciences de l’information et de la gestion documentaire » ainsi qu’un baccalauréat.

« Dans n’importe quelle bibliothèque publique en Amérique du Nord, une maîtrise en sciences de l’information est requise, mais pour gérer et piloter Bibliothèque et Archives nationales du Québec, ce ne serait pas nécessaire, écrivent-ils encore. Ceci est passablement irrégulier et pourrait s’avérer préoccupant pour l’avenir de l’institution. »

Deuxièmement, il y a le fait que certaines candidatures partiraient avec une longueur d’avance au sein du gouvernement de François Legault. Rappelons que, parmi la vingtaine de candidatures déposées au Secrétariat aux emplois supérieurs du ministère du Conseil exécutif, se trouvent celles de la communicatrice multifonction Marie Grégoire et de la bibliothécaire en chef de l’Université Concordia, Guylaine Beaudry.

Dans n’importe quelle bibliothèque publique en Amérique du Nord, une maîtrise en sciences
de l’information est requise, mais pour gérer et piloter Bibliothèque et Archives nationales du Québec, ce ne serait pas nécessaire...

« Une bibliothèque publique n’a pas à être un lieu de partisanerie », précise en entrevue Jean-Sébastien Sauvé, aussi signataire, spécialisé en architecture et aménagement des bibliothèques. « Au contraire, ça doit être un lieu démocratique, ouvert à tous, pas teint par des programmes politiques. »

Il poursuit : « Je vois mal la légitimité d’un candidat étranger aux enjeux de la démocratisation de l’information et à ceux des droits d’auteur. Alors, il va falloir le former, et c’est du temps précieux perdu. Et, oui, ça prend des bibliothécaires très, très doués en gestion. Il n’y a pas de raisons qu’on ne puisse allier les deux, gestion et bibliothéconomie. »

Une bibliothèque publique n’a pas à être un lieu de partisanerie

 

BAnQ est à un tournant majeur, ses deux derniers p.-d.g., M. Roy et Christiane Barbe avant lui, l’ont clamé. « Pour transformer en profondeur, il faut connaître en profondeur », estime Marie-D. Martel. « Il y a un courant important dans la profession qui est orienté sur l’innovation sociale, et c’est un besoin, de tabler là-dessus, particulièrement après la pandémie. Il faut voir comment on intègre l’offre virtuelle, l’offre en ligne et l’offre en présentiel ; et à qui on offre quoi. »

« On a vu, pendant la pandémie, BAnQ ouvrir ses espaces pour accueillir les itinérants, ajoute Mme Martel. On est allés de l’avant sur cette préoccupation particulière pour les populations marginalisées. Qu’est-ce qu’on fait, là ? Comment on poursuit ça ? Comment on développe davantage le volet communautaire et le service pour les populations marginalisées ? » Seule une expertise bien ancrée pourra répondre avec toute la sensibilité requise à ces questions, croient ces spécialistes.

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