Une aide réclamée pour sauver les ateliers d’artistes à Montréal

De gauche à droite, des artistes qui veulent éviter que les créateurs se fassent continuellement chasser de leurs quartiers: Alexis Bellavance, Sylvain Bouthillette, François Lemieux, Édith Brunette et Claudine Hubert.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir De gauche à droite, des artistes qui veulent éviter que les créateurs se fassent continuellement chasser de leurs quartiers: Alexis Bellavance, Sylvain Bouthillette, François Lemieux, Édith Brunette et Claudine Hubert.

Plus de 450 artistes pressent Québec et la Ville de Montréal d’en faire plus pour pérenniser les ateliers d’artistes et éviter de nouvelles expulsions dans la métropole, jugeant incomplet le programme de soutien de 30 millions de dollars annoncé il y a deux semaines.

« On est très heureux du montant annoncé, c’était une aide nécessaire et urgente. Mais on craint que le programme, tel qu’il est construit, ne permette pas d’atteindre les objectifs et qu’on se retrouve encore contraints de déménager au bout de quelques années », s’inquiète Édith Brunette, artiste en arts visuels et cofondatrice des Ateliers Casgrain, dans le Mile End.

Elle coécrit une lettre publiée dans notre page Idées d’aujourd’hui, jeudi, signée par plus de 450 autres artistes, en réaction au lancement du Programme de soutien à la rénovation de bâtiments accueillant des ateliers d’artistes, dévoilé le 17 mai. Québec avait alors détaillé la mécanique de distribution des 25 millions de dollars promis il y a deux ans pour sauver ces ateliers qui ferment au rythme de la spéculation immobilière. Entre 400 et 600 artistes ont perdu leur espace de travail dans la métropole depuis 2018, selon Ateliers Créatifs.

On est très heureux du montant annoncé, c’était une aide nécessaire et urgente. Mais on craint [...] de se retrouver encore contraints de déménager au bout de quelques années.

 

Cette somme record permettra de rénover des ateliers existants pour bâtir des lieux de création durable et éviter que les artistes se fassent continuellement chasser de leurs quartiers. Les propriétaires immobiliers devront d’ailleurs s’engager à signer un bail d’au moins 20 ans avec les regroupements d’artistes pour bénéficier de cette aide. Pour ajouter un incitatif, la Ville de Montréal a décidé d’investir 5 millions de plus pour amoindrir pendant deux ans la hausse des taxes municipales due à la plus-value de la rénovation du bâtiment.

Le test de la réalité

 

« Ce programme esquive plusieurs problèmes bien connus qui risquent de le rendre peu efficace. Il reste sourd à nos principales demandes pour assurer la pérennité des ateliers : alléger les taxes payées par les artistes durant toute la durée des baux, offrir de véritables incitatifs pour les propriétaires et encourager l’acquisition collective, par le milieu artistique, des espaces qu’il occupe », écrivent les artistes d’une même voix dans leur lettre.

Ils doutent que le programme d’aide intéresse les propriétaires immobiliers avec qui ils ont l’habitude de négocier depuis des années. Le fait que les artistes ou le gouvernement québécois s’engagent à financer la rénovation des espaces ne les a jusqu’ici jamais encouragés à baisser le prix des loyers.

De plus, rares sont ceux qui acceptent des baux à très long terme. Et quand bien même certains accepteraient de signer pour 20 ans, le scénario des évictions risque de reprendre de plus belle une fois le bail échu. « En 20 ans, le quartier aura eu le temps de s’embourgeoiser et ça fera une pression à la hausse sur les loyers », insiste Édith Brunette.

C’est sans parler de l’augmentation des taxes foncières sur laquelle les propriétaires n’ont aucun pouvoir. Rénovés, les bâtiments loués prendront forcément de la valeur. Or, Montréal ne propose un sursis que de deux ans, souhaitant surtout « soutenir la phase de démarrage du projet et contribuer à en assurer une stabilisation ».

« Ce sont les artistes qui en payeront le prix puisque les loyers augmenteront rapidement. On revient au problème initial », déplore la directrice générale du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec, Catherine Bodmer, qui compte parmi les auteurs de la lettre.

Des solutions existent pourtant. Les auteurs de la lettre donnent l’exemple de la Ville de Toronto qui accorde une réduction des taxes foncières aux propriétaires de locaux occupés à 50 % par des artistes. « Les arrondissements de Montréal pourraient octroyer des dérogations en ce sens. Il faudrait pour ça que Québec crée une loi permettant aux municipalités une telle modulation », note Édith Brunette.

Une autre solution viable serait de faciliter l’accès à la propriété collective aux artistes. En plus de sortir de ce cycle d’expulsion en dépendant de propriétaires peu sensibles à la cause et des aléas du marché, les artistes pourraient aussi « s’extraire de leur rôle plus que gênant d’agents d’embourgeoisement, en évitant que leurs migrations perpétuelles continuent à bouleverser l’écologie des quartiers », concluent-ils dans leur lettre.
 

Au moment où ces lignes étaient écrites, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) n’avait pas répondu aux questions du Devoir.



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