L’avenir du travail se dessine à Aire ouverte, un espace virtuel

Sébastien Collin, l’idéateur de l’espace virtuel Aire ouverte, souhaite que sa plateforme serve autant à l’organisation de festivals ou de concerts qu’à de simples rencontres pour jaser, comme avant la pandémie. Le pont Jacques-Cartier est d’ailleurs un des points présents sur la carte.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Sébastien Collin, l’idéateur de l’espace virtuel Aire ouverte, souhaite que sa plateforme serve autant à l’organisation de festivals ou de concerts qu’à de simples rencontres pour jaser, comme avant la pandémie. Le pont Jacques-Cartier est d’ailleurs un des points présents sur la carte.

C’est le sujet de l’heure dans le milieu de la musique au Québec : Aire ouverte, un espace virtuel qui recrée dans une interface rappelant les vieux jeux vidéo une partie de l’écosystème musical, avec des salles de spectacle comme le Club Soda à Montréal ou le Cabaret de la dernière chance à Rouyn-Noranda. On se crée notre avatar et on s’y promène pour assister à un concert virtuel, pour retrouver des collègues et, pour des entreprises qui y ont ouvert leurs bureaux, pour conduire ses affaires pendant le confinement. Toujours à l’affût des innovations technologiques, l’industrie musicale annoncerait-elle ainsi l’avenir du travail postpandémique ?

« Au début, je pensais juste faire un coup d’éclat avec ça », avoue Sébastien Collin, président-directeur général de Spectacles Bonzaï et idéateur d’Aire ouverte, inaugurée officiellement jeudi dernier en présence (virtuelle) de plus de 400 acteurs de l’industrie. À quoi ça sert ? Collin voit grand : organiser des concerts, des festivals, des formations, des congrès, etc. Ou simplement se retrouver virtuellement au Quai des brumes pour jaser, comme avant la pandémie. « Il y a beaucoup d’options, mais la valeur de cette plateforme se précisera à l’usage », croit-il. « Pour ma part, la meilleure stratégie, c’était de lancer le projet et regarder comment les gens s’en serviront. »

Collin a découvert par hasard les services de la jeune start-up américaine Gather, qui aménage des espaces virtuels favorisant une meilleure interaction entre usagers à l’aide de technologies audio et vidéo — imaginons une solution plus ludique et interactive que Zoom. Il s’est d’abord amusé à reproduire avec le service de Gather les petites salles de spectacle. « Au bout de quelques semaines, j’ai invité des amis dans l’espace — on s’amusait, on faisait la tournée des salles ! »

Lorsque Collin a montré Aire ouverte à l’agente d’artistes Fannie Crépin (Supercool Management, Musique Bleue), le projet a pris un nouveau sens. Ce que la femme d’affaires a compris, expliquait-elle au Devoir lors de notre première visite, c’est le potentiel qu’a un tel outil en matière de relations d’affaires au sein d’une industrie de la musique confinée, mais aussi dispersée, avec des structures, des diffuseurs, des salles de spectacle dans toutes les régions du Québec.

Directrice générale du studio, étiquette et salle de spectacle Le Pantoum à Québec, Émilie Tremblay aussi a été séduite par le potentiel d’Aire ouverte : « Ce que je trouve d’abord intéressant, c’est de l’utiliser pour garder un lien entre la salle et le milieu. Ensuite, je trouve que c’est une plateforme plus ludique, plus intéressante » que les outils de communication tels que Zoom ou Slack, dont l’usage a explosé pendant le confinement. « Grâce à ça, on a plus le réflexe d’aller y faire un tour. Le milieu de la musique, c’est une communauté ; on est une grosse gang, on se voit souvent, mais à cause de la pandémie, il y a moins de contacts. Je crois que, si tout le monde utilise bien Aire ouverte, on peut créer des rencontres, et juste pour ça, c’est pertinent. »

Claudine Bonneau, professeure agrégée au Département d’analytique, opérations et technologies de l’information (AOTI) à l’UQAM, s’intéresse à la mutation du travail. Elle a noté que, depuis le début de la pandémie, les communications avec nos proches collaborateurs ont augmenté « parfois considérablement, mais elle a diminué de beaucoup avec les collaborateurs qui ne font pas partie de notre équipe immédiate, par exemple des gens qui se croisent, dans certains événements ou sur certains projets, mais qui n’ont pas à communiquer constamment. On a perdu l’occasion de croiser ces gens », et c’est sur cette « transversalité » des contacts, cette possibilité de réunir facilement des acteurs de l’industrie des quatre coins de la province dans un même espace virtuel que devrait miser Aire ouverte, estime la professeure.

Maintenant que le télétravail semble avoir démontré son efficacité aux employeurs craignant une baisse de production, plusieurs questions seront soulevées sur l’avenir du travail postpandémique : la fin de la pandémie signalera-t-elle forcément le retour au bureau ? Le télétravail rend-il le bureau désuet ? Une expérience telle qu’Aire ouverte incarnera-t-elle le bureau de l’avenir ?

« Ça, c’est la grande question que toutes les organisations se posent aujourd’hui », croit Claudine Bonneau. « Le pied carré, ça coûte cher de location. J’en parlais avec des chefs d’entreprise qui, avant la crise, envisageaient d’ouvrir de nouveaux bureaux et qui comprennent que ça n’a plus de sens. » Une réflexion qu’a justement entamée l’agence de spectacles Preste, nous confirme Isabelle Gentès, directrice générale développement des affaires. Preste, qui compte une dizaine d’employés, commençait à se sentir à l’étroit dans ses locaux du boulevard Saint-Laurent ; ses nouveaux bureaux dans Aire ouverte permettront à l’équipe de garder contact et de travailler efficacement, croit-elle.

« La pandémie a permis à plusieurs organisations d’expérimenter les outils technologiques pour voir ce qui réussit le test de la distance et ce qui manque à l’expérience de travail, explique Claudine Bonneau. Maintenant que l’on commence à envisager un retour postpandémie, on est mieux placés pour évaluer ce qui fonctionnait mieux à distance, ce qui ne fonctionnait pas du tout, et comment on peut combiner ça dans de nouvelles pratiques » et de nouveaux espaces comme Aire ouverte.

Encore plus de projets

L’entreprise Gather (gather.town), qui affirme compter 4 millions d’usagers et attire de plus en plus l’attention des investisseurs, s’adresse d’abord aux entreprises, qui peuvent reproduire dans son interface ludique leur espace de travail et inviter leurs employés à y interagir. Les services de Gather ont également intéressé le milieu de l’éducation : l’Université de Chicago y a tout récemment inauguré son campus virtuel, alors que l’Université de Pennsylvanie utilise la plateforme depuis l’automne dernier pour faciliter les contacts entre les étudiants et leurs professeurs. À Montréal, un enseignant de musique a testé la plateforme pour y donner ses cours. Au moment de l’inauguration d’Aire ouverte jeudi dernier, 16 salles de spectacle étaient reproduites sur une carte de la province, et six entreprises avaient pignon sur rue ; l’idéateur de l’espace, Sébastien Collin, nous confirme que plusieurs autres acteurs de l’industrie ouvriront prochainement leurs bureaux virtuels dans Aire ouverte.



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