La pandémie du spectateur

Les spectateurs engagés n’ont qu’une hâte : retourner en salle renouer avec leurs arts préférés. Car chez les habitués, les propositions artistiques numériques de la pandémie n’ont suscité que peu d’intérêt. Synapse C dévoilait mercredi deux nouvelles études sur les conséquences de la pandémie sur les arts : une sur les conséquences économiques et l’autre, originale, sur le comportement des publics avant, pendant et à venir après la pandémie. Une donnée croisée : trois spectateurs sur dix ont subi des conséquences financières néfastes pendant la pandémie, qui pourraient, à moyen terme, freiner leurs ardeurs. Regard.
« Il faut se préoccuper autant des publics de la culture que de ceux des lieux de culte ou des événements sportifs », estime le professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières et ancien critique au Devoir Hervé Guay. Il a mené, avec Claudia-Barbara Sévigny-Trudel, l’étude Publics québécois des arts de la scène : portrait de groupe pendant et après l’épidémie de COVID-19 à Montréal et en région. Une étude menée auprès des spectateurs engagés, précise M. Guay en entrevue.
Engagement très élevé
« L’hypothèse était qu’un des facteurs les plus importants pour assurer le retour du public en salle, c’est le degré d’engagement des spectateurs. Ce niveau m’a épaté : c’est très élevé. Pour ces habitués, le théâtre, le cirque, la danse sont essentiels à leur vie. C’est un rituel qu’ils adorent et auquel ils adhèrent. »
Conséquence : l’intérêt est faible chez ces grands amateurs pour les propositions numériques, aussi créatives aient-elles été pendant la pandémie. « Quatre personnes sur cinq en écoutent moins d’une fois par semaine, ou jamais. En outre, la très grande majorité démontrent très peu d’intérêt pour de telles captations.
L’exception qui confirme la règle, ce sont les enregistrements de spectacles de musique qui suscitent l’intérêt de près de la moitié des répondants », lit-on. La part qualitative de l’étude fait clairement ressortir l’importance des rituels associés aux spectacles et aux sociabilités les entourant — que le numérique ne satisfait pas.
Choisir le spectacle, le resto où aller avant, s’asseoir dans le fauteuil, entendre les conversations autour et discuter par la suite font partie de l’expérience autant que l’œuvre à voir.
« On savait ça avant la pandémie, précise M. Guay, mais on dirait qu’on s’en rend compte avec plus d’acuité maintenant qu’on est privé de ces aspects-là. Pour les gens qui connaissent l’expérience du spectacle, et qui l’aiment, le numérique est une proposition moins puissante. »
Un succédané, quoi. « C’est une bonne solution pour les publics entravés — physiquement ou géographiquement », poursuit le chercheur. Quatre personnes sur dix continueront à écouter des captations après la pandémie, adoptant une fréquentation hybride, en partie numérique et en partie live, des arts.
Ce que ça coûte d’aimer les arts
« Environ six spectateurs sur dix ont changé beaucoup ou énormément leur consommation culturelle durant la pandémie », indique sans surprise l’étude.
« Ils sont aussi nombreux à être prêts à retourner immédiatement voir des spectacles en salle. Près de trois spectateurs sur quatre pensent retourner au théâtre, au cirque ou à la danse au même rythme qu’avant ou à un rythme accéléré quand la pandémie sera terminée. »
Chez les 2445 personnes sondées, la principale raison nommée comme un empêchement est la crainte pour son état de santé ou celui d’un proche. Pourtant, la grande majorité estime qu’assister à un spectacle est sécuritaire. « Les trois stratégies organisationnelles que le public apprécie le plus sont la diminution de la jauge de la salle, le billet remboursable et l’augmentation de l’espace dans le hall d’entrée. »
« Ce qui m’est important, c’est de noter que trois spectateurs sur dix subissent des conséquences financières importantes de la pandémie, note M. Guay. Pour l’instant, ce n’est pas inquiétant : les jauges des salles sont si petites que les salles se remplissent facilement. Mais dans un an, si ce tiers de spectateurs n’a pas rétabli sa situation, ça pourra avoir une influence sur l’achat de billets et d’abonnements. Ça prend un budget conséquent pour continuer à être un spectateur engagé. »
Pour ces spectateurs engagés là, l’art est nécessaire. Il faudrait donc, répète le professeur, considérer d’une égale importance pour la santé mentale l’accès au sport et l’accès aux arts de la scène.
« Autant le dire franchement : quand on parle de spectateurs, on parle surtout de spectatrices. Pour ne pas tomber dans des politiques de deux poids, deux mesures et s’assurer qu’on répond aussi aux besoins des femmes, il faut également considérer l’accès aux arts. »
Les conséquences du virus sur les arts et les organismes
Une Enquête sur les impacts de la crise de la COVID-19 sur le secteur des arts et de la culture et la transformation des organisations culturelles, menée par Frédéric Laurin et William Nicholls, apporte de nouveaux chiffres. Pour les organismes : 70 % des organisations culturelles ont mis à l’arrêt plus de 50 % de leurs activités.
Le financement public semble avoir été relativement maintenu pendant la crise par rapport aux autres sources de revenus et de financement. 50,5 % des organisations affirment que leur financement public a été maintenu ou qu’ils ont connu une hausse.
Les revenus autonomes et les fonds privés ont chuté radicalement. 50 % des organisations culturelles n’ont licencié personne ; 29,2 % ont effectué de 1 à 5 licenciements, et 20,6 % se sont départis de plus de 5 personnes.
Chez les individus : 73,4 % des travailleurs autonomes ont subi une baisse de plus de 50 % du nombre de contrats, et 27,3 % ont perdu tous leurs projets. La créativité de 46,7 % des répondants est affectée au moins fortement par la situation.
Et 42,6 % des travailleurs autonomes ont profité de la pause imposée pour acquérir de nouvelles compétences.
Si le secteur des arts et de la culture est l’un des plus touchés au Québec, 70,1 % des répondants ont bénéficié d’un des programmes de soutien mis en place — un pourcentage nettement en dessous d’autres secteurs, pourtant moins
touchés.
Chez les travailleurs autonomes, « plusieurs répondants estiment que les aides sont mieux adaptées aux organismes qu’aux artistes, ou encore que l’aide acheminée aux organismes « ne se rend pas aux artistes »», peut-on lire.