Deux prix Grammy pour Kaytranada et un record pour Beyoncé

Le compositeur québécois Kaytranada a remporté dimanche après-midi le premier prix Grammy de sa carrière, puis le second quelques minutes plus tard. À lui, le trophée du Meilleur enregistrement dance / électronique pour la chanson 10 %, mettant en vedette la voix de Kali Uchis, ainsi que celui du Meilleur album dance / électronique, pour son second disque, Bubba, paru en décembre 2019. Le musicien marque également l’histoire en devenant le premier Noir à remporter les honneurs dans cette catégorie, instaurée en 2005, dans laquelle Daft Punk, Kraftwerk et Aphex Twin ont précédemment été sacrés.
« Oh, mon Dieu, c’est malade ! » s’est exclamé le Montréalais en entendant son nom une seconde fois, au tout début de la première cérémonie de cette 63e édition de remise des prix Grammy, qui, en raison de la crise sanitaire, présentait les concurrents par visioconférence. Il a pris les trente secondes qu’on lui allouait pour remercier son équipe et ses collaborateurs, ajoutant « qu’il rapportait [ces prix] à Montréal. Merci à ma famille, merci à mes fans… Peace ! ».
Au téléphone depuis Los Angeles avec Le Devoir en milieu d’après-midi, Kaytranada a affirmé que ces deux prix Grammy sont pour lui la confirmation qu’il fait « la bonne chose. Je sais que ça représente beaucoup — un Grammy, c’est quand même fou ! ». Encore à court de mots, il a tout de même reconnu combien sa victoire pouvait motiver les acteurs des scènes électroniques et hip-hop du Québec. « Y en a beaucoup, des producteurs, à Montréal, j’espère que ça va apporter quelque chose de positif [à la scène] », a-t-il ajouté, promettant de célébrer ces victoires avec les collègues à son retour en ville. Le musicien se rendait plus tard au Los Angeles Convention Center pour assister en personne au gala télévisé, avec l’espoir de faire un tour du chapeau en remportant un troisième Grammy dans la catégorie du Meilleur nouvel artiste. C’est la rappeuse Megan Thee Stallion, une des favorites de la soirée, qui a récolté le prix.
Né Louis-Kevin Célestin, Kaytranada a commencé sa carrière en 2010 en lançant quelques mixtapes et en signant la production musicale de rappeurs de la scène locale (les membres d’Alaclair Ensemble, entre autres), en plus de former le duo The Celestics avec son frère Lou Phelps. Son premier album officiel, 99,9 %, une œuvre instrumentale mariant le hip-hop, le soul et la house, était paru en 2016 chez XL Recordings. Pour Bubba, Kaytranada a collaboré avec Pharrell Williams, Estelle, Tinashe, SiR et Kali Uchis, entre autres.
Y en a beaucoup, des producteurs, à Montréal, j’espère que ça va apporter quelque chose de positif [à la scène]
La reine Beyoncé
Au palmarès, Megan Thee Stallion et la chanteuse Beyoncé étaient attendues : Beyoncé menait le peloton avec neuf mises en nominations, alors que sa consœur Megan Thee Stallion en avait quatre. Ensemble, elles ont remporté le prix de la Meilleure performance rap avec la chanson Savage, pour ensuite remonter sur le podium, lors du gala télévisé, pour cueillir le prix de la Meilleure chanson rap, toujours pour Savage.
Les artistes féminines ont en vérité dominé le palmarès de cette 63e édition des Grammys, au trône desquels on a reconnu Beyoncé qui, en ajoutant son trophée de la Meilleure performance R & B pour la chanson Black Parade, cumulait 28 Grammys en carrière, un sommet pour n’importe quel chanteur et chanteuse et, au total, égalait le record de statuettes détenu par le compositeur, producteur et réalisateur Quincy Jones. Au registre des records, il faut également souligner la victoire de Taylor Swift, première artiste féminine à remporter à trois reprises la catégorie Album de l’année grâce à Folkore, un disque folk-pop embrassant l’esprit confiné dans lequel le monde fut plongé depuis un an. Sa performance hier soir des chansons Cardigan, August et Willow, dans un précieux décor champêtre et féérique, aura assurément marqué le gala.
Poursuivant dans les thèmes brûlants d’actualité, l’académie a décerné à l’autrice-compositrice-interprète H.E.R. le prix de la Chanson de l’année pour I Can’t Breathe.
Exclue de la catégorie du Meilleur album de l’année, l’autrice-compositrice-interprète Fiona Apple a tout de même brillé en après-midi dans celle de l’Album de musique alternative de l’année pour le puissant Fetch the Bolt Cutters, remportant ensuite le Grammy de la Meilleure performance rock grâce à la chanson Shameika. Le groupe new-yorkais The Strokes a quant à lui récolté celui du Meilleur album rock (The New Abnormal) et Brittany Howard, celui de la Meilleure chanson rock (pour Stay High). Billie Eilish a conclu la soirée en repartant avec le Grammy de l’Enregistrement de l’année pour la chanson Everything I Wanted, concédant au micro que ce trophée aurait dû revenir à Megan Thee Stallion qui, a-t-elle déclaré, « a connu une année insurpassable. […] Tu le méritais ».
Différent, sans être ennuyeux
Animée avec brio par l’animateur et humoriste Trevor Noah, la 63e édition des prix Grammy s’est déroulée hier sous la contrainte des gestes barrières. À l’écran, l’animateur passait d’un chapiteau extérieur, où étaient remis les trophées, aux petites scènes aménagées à l’intérieur du Los Angeles Convention Center pour présenter les nombreuses performances au programme. Noble geste, l’organisation avait demandé à des gestionnaires de petites salles de spectacles indépendantes, meurtries par le confinement depuis un an, de présenter quelques prix.
Sans public, sans la démesure des scénographies normalement proposées au Staples Center voisin, la cérémonie télévisée avait une tout autre énergie, qui déteignait même sur les prestations. C’était assurément différent, sans être ennuyeux : ainsi, les trois numéros d’ouverture mettant en vedette Harry Styles, Billie Eilish et le trio HAIM, étaient tous aussi différents que réussis, sans effusion d’effets spéciaux, mais généreux en grooves et en émotions — soulignons que le studio montréalais Silent Partners a signé les scénographies des performances de Cardi B et du duo Silk Sonic, récemment formé par Anderson. Paak et Bruno Mars. Soulignons aussi la performance de Dua Lipa, qui a offert un spectaculaire medley (comprenant entre autres Levitating et Don’t Start Now) dans un décor et des éclairages évoquant l’époque disco.
Le Grammy du Meilleur album de musique « globale » (Best Global Music Album, autrefois Best World Music Album) a été remporté par le Nigérian Burna Boy pour l’excellent Twice as Tall. Le Jamaïcain Toots Hibberts (Toots & The Maytals) a aussi reçu un Grammy posthume pour Got to Be Tough, lui qui avait joui d’une telle victoire de son vivant grâce à l’album True Love (2005). À titre posthume aussi, le compositeur et pianiste Chick Corea a remporté deux prix, ceux du Meilleur album jazz instrumental (Trilogy 2, avec Brian Blade et Christian McBride) et Meilleur solo jazz improvisé (All Blues). Thundercat a gagné le Meilleur album R & B progressif pour It is What it Is.
Ni Leonard Cohen ni Rufus Wainwright ne sont parvenus à convertir leur nomination en trophée, le premier dans la catégorie du Meilleur album folk (remporté par Gillian Welch & David Rawlings pour All the Good Times), le second dans celle du Meilleur album pop vocal traditionnel (remporté par James Taylor pour American Standard). Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin était également cité aux côtés du pianiste russe Daniil Trifonov, nommé dans la catégorie Meilleur solo instrumental classique pour son enregistrement des œuvres de Rachmaninov, accompagné par l’Orchestre de Philadelphie dirigé par le Montréalais.