Des artistes changent de vie avec la crypto

Pour les artistes Alexy Préfontaine et Alycia Rainaud, il importe de redonner à leur communauté, en collectionnant eux-mêmes des NFT et en encourageant des créateurs émergents.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Pour les artistes Alexy Préfontaine et Alycia Rainaud, il importe de redonner à leur communauté, en collectionnant eux-mêmes des NFT et en encourageant des créateurs émergents.

La popularité de « l’art crypto » propulse certains artistes sur le devant de la scène. C’est le cas d’Alexy Préfontaine et d’Alycia Rainaud, deux Montréalais, respectivement connus sous les noms d’Aeforia et Malavida, qui vendent leurs œuvres sous forme de NFT (non-fongible tokens) pour des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars. Alors que la dernière année a été particulièrement difficile pour le milieu culturel, les deux jeunes artistes envisagent cette nouvelle technologie comme un vent d’air frais.

Le 25 février, Alexy Préfontaine a mis en vente une série d’œuvres NFT sur la plateforme Niftygateway. En quelques heures à peine, le fruit de son labeur s’est arraché à prix d’or. Au total, près de 500 000 dollars américains. En une soirée. « C’est sûr que pour moi, c’est spécial d’en parler parce que je ne suis pas habitué, avoue-t-il humblement. Je dirais que c’est une somme qui change une vie, littéralement. Surtout pour quelqu’un comme moi qui viens de finir son baccalauréat. »

Tout ça est arrivé un peu par hasard dans la vie du jeune homme. De ses débuts créatifs via des applications mobiles d’édition de photos, il en est finalement arrivé à poursuivre un baccalauréat en design graphique à l’UQAM et à s’intéresser à l’art 3D. « C’est là que j’ai vraiment eu le déclic », note-t-il.

Mais avant qu’il ne se lance dans l’aventure des NFT en octobre 2020, les revenus de son travail demeuraient encore marginaux. « Je faisais des visuels pour des pochettes d’album ou pour des compagnies. Mais mes revenus dépendaient toujours d’une production pour quelqu’un d’autre, et ça restait minime. »

Il y a même eu trois mois durant la pandémie qui ont été compliqués financièrement pour l’artiste, qui ne percevait plus aucun revenu. « Quand je compare ma situation aujourd’hui par rapport à l’an passé, jour pour jour, les NFT ont complètement changé la donne pour moi. »

Une situation à laquelle s’identifie l’artiste et designer graphique Alycia Rainaud, amie d’Alexy. « Ça fait bientôt cinq ans que j’ai démarré le projet Malavida mais j’en vis officiellement depuis janvier 2019 seulement. » Sauf que tout a basculé en 2020, lorsqu’elle a déménagé de la France pour le Québec et que la pandémie a ralenti considérablement les activités dans le secteur.

 

« Pour des raisons évidentes, ça a beaucoup impacté mon travail et mes revenus », explique celle qui a même envisagé de changer de carrière. « Parce qu’en fin de compte, les artistes aussi ont des factures à payer, comme tout le monde » ajoute-t-elle.

Mais les choses ont changé lorsqu’elle s’est récemment mise à créer des NFT en janvier 2021. L’artiste, dont les œuvres peuvent se vendre à plus de 10 000 dollars américains sur SuperRare, explique que cela l’a « beaucoup aidé à prendre conscience de la valeur de son travail ».

Revaloriser l’art numérique

Les NFT seraient-ils alors en train de bouleverser le monde de l’art ? Oui, estime M. Préfontaine. « Je pense que c’est une très grosse révolution. C’est ma perception personnelle, mais je pense que, pendant trop longtemps, l’art numérique a été un peu dénigré par rapport à l’art traditionnel. »

Un avis que partage Alycia Rainaud. « C’est intéressant de voir à quel point les NFT ouvrent des débats au sujet de l’art. Pour nous, l’équivalent d’une galerie physique, c’était seulement Instagram. Mais maintenant les plateformes de NFT nous offrent cet espace qui nous permet d’avoir la même relation à l’art que les artistes traditionnels et d’être adéquatement rémunérés », explique-t-elle.

«Les likes et les commentaires sur Internet, c’est déjà super parce que nous, ça nous aide beaucoup, mais en même temps, ce n’est pas assez », ajoute l’artiste.

 

De l’avis d’Alexy Préfontaine, « les gens tiennent pour acquis que les œuvres numériques sont toujours accessibles et gratuites. C’est un peu comme si c’était le fast-food de l’art. Mais malgré la disponibilité et la rapidité de consommation de ce type d’art, il y a énormément de travail qui se cache derrière. Or, les gens pensent parfois que parce que c’est réalisé sur un ordinateur et non sur un pupitre avec un tableau et de la vraie peinture, il n’y a pas beaucoup de travail derrière… alors que oui ! » explique celui qui passe régulièrement de nombreuses heures par jour à plancher sur ses créations numériques.

Et pour les deux artistes, il importe pour eux de redonner à leur communauté, en collectionnant eux-mêmes des NFT et en encourageant des créateurs émergents. « Il y a même quelqu’un qui m’a confié un jour que le fait qu’on lui achète une œuvre, ça l’avait aidé à payer son loyer », souligne Alycia Rainaud.

Empreinte écologique conséquente

 

L’engouement pour les NFT s’accompagne toutefois de certaines critiques, en raison de leur empreinte environnementale — puisque la technologie sur laquelle ils se basent s’avère particulièrement énergivore.

Cependant, « peu importe si tous les artistes décidaient du jour au lendemain d’arrêter de publier leurs œuvres en tant que NFT, les émissions liées à la blockchain continueraient quand même », souligne M. Préfontaine.

Le jeune artiste note également que l’utilisation d’Internet en général est dommageable pour la planète. « On regarde tous des vidéos sur YouTube, pourtant ça a une empreinte écologique énorme. Tous les courriels qu’on envoie, les tweets qu’on publie émettent aussi des GES dans l’atmosphère » note-t-il.

Photo: Alycia Rainaud L'œuvre «Tied up to the past» de Malavida s'est vendue plus de 12 500$ américains sur la plateforme SuperRare.

Il y a toutefois place à de l’amélioration au niveau de la consommation d’énergie de la technologie chaîne de blocs, reconnaissent les deux artistes.

« On voit toute cette haine dirigée contre nous et on ressent beaucoup de culpabilité. Souvent les artistes sont très engagés et empathiques, alors on ne peut pas rester indifférents » explique Mme Rainaud, qui pour tenter de remédier à ce problème, compense ses émissions de carbone.

« J’essaie toujours de prendre un certain pourcentage de mes ventes (20 % environ) et de reverser ça pour offset mes émissions ou pour planter des arbres. Je le fais plusieurs fois par mois. À mon échelle, c’est la seule chose que je peux faire. »

Car en pleine pandémie, les artistes ne peuvent pas se passer d’une technologie leur offrant une juste rémunération, croit M. Préfontaine. « Je trouve un peu dommage que certaines personnes attaquent directement les artistes pour un problème qui les dépasse », conclut-il.
 



Ce texte a été mis à jour après publication.

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