Inquiétudes face au projet de réforme de la loi sur le patrimoine

Qu’est-ce qui devrait être amélioré dans le projet de loi 69, par lequel l’État québécois entend revoir sa loi sur le patrimoine ? D’emblée, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) repousse l’idée qu’un contrôle supplémentaire puisse s’exercer par l’intermédiaire des Municipalités régionales de comté (MRC), tandis que la Fédération québécoise des municipalités (FQM) admet, au contraire, l’intérêt de la mesure, à condition toutefois qu’elle soit accompagnée de plus de moyens. Des organismes établis voués à la protection du patrimoine considèrent par ailleurs que les contrôles projetés sur les municipalités s’avèrent en vérité bien insuffisants pour que la situation change vraiment.
Aux audiences consacrées à ce projet de loi, dans le cadre des travaux de la Commission de la culture et de l’éducation, Héritage Montréal s’inquiète de voir autant d’énergie consacrée à « la production d’inventaires » patrimoniaux, comme s’il s’agissait là d’une finalité. L’organisme ne comprend pas non plus pourquoi la ministre Nathalie Roy fait l’impasse, dans son projet, sur le patrimoine d’après 1940, comme s’il était insignifiant.
Parmi les critiques, des points communs : plusieurs organismes proposent la création d’une instance indépendante, capable d’« agir à titre d’accompagnateur, de conseiller et de médiateur auprès des municipalités et des MRC », tel que le formule Action patrimoine.
Dans son mémoire, Héritage Montréal invite l’État à créer un poste de commissaire général du patrimoine.
Cette préoccupation rejoint une recommandation de la Fédération Histoire Québec, forte de 300 sociétés membres, dont elle déplore par ailleurs le sous-financement chronique, malgré leur importance pour la sauvegarde du patrimoine au Québec.
Un encadrement insuffisant ?
Héritage Montréal doute de la capacité des MRC de baliser l’action des municipalités, jusqu’ici très rébarbatives à appliquer des mesures de protection du patrimoine en vertu des pouvoirs que leur confère pourtant la loi.
Même écho du côté d’Action patrimoine : il apparaît urgent, dit l’organisme, et « nécessaire d’aller un peu plus loin que les modifications proposées ».
Très peu de municipalités citent des bâtiments pour les protéger. Elles conservent de plus la capacité d’abolir à loisir les effets d’une éventuelle protection. Tout cela devrait être beaucoup mieux encadré, dit Action patrimoine.
Cependant, faute de pouvoirs et de moyens supplémentaires, les MRC risquent de générer les mêmes résultats malheureux qui sont décriés aujourd’hui, soutient encore l’organisme. D’ailleurs, que faut-il espérer de bon de ce côté, alors que « les élus qui siègent au conseil de la MRC sont les mêmes que dans les municipalités locales » ? Sans compter sur le fait que certaines municipalités locales ont parfois une place prépondérante au sein des MRC « et peuvent influencer à elles seules la prise de décision ».
En outre, les MRC ne sont pas dotées de moyens humains et financiers suffisants pour leur permettre d’assumer ces contrôles nouveaux, craignent plusieurs intervenants.
Un refus de taille
Dans son mémoire, l’UMQ s’oppose à ce rôle de chien de garde que le ministère souhaite confier aux MRC. La présidente de l’UMQ, la mairesse Suzanne Roy, n’accepte pas l’idée qu’une MRC puisse bloquer un projet de destruction d’une municipalité, si celui-ci est conforme au règlement.
L’UMQ estime par ailleurs qu’il faut que l’État assure « un financement prévisible, adéquat et à long terme » qui permette aux municipalités d’atteindre des objectifs de protection et de mise en valeur du patrimoine.
Pour sa part, la FQM ne s’oppose pas à un plus grand contrôle de la part des MRC. Elle pense toutefois que, dans le cas d’un désaveu d’une décision municipale de démolir un édifice, il devrait au moins exister « un fonds pour la sauvegarde » des bâtiments pour que les décisions ne soient pas sans conséquence.
Prévenir
Action patrimoine estime que la loi ne comporte pas suffisamment d’éléments pour prévenir les démolitions dont il est désormais question à répétition dans les médias. À cet égard, le régime d’exception prévu dans la loi pour la ville de Québec lui apparaît être une aberration, compte tenu du triste bilan de cette ville et de l’opacité de son fonctionnement en matière de patrimoine.
De façon plus générale, « le projet de loi devrait aussi s’attaquer aux causes des démolitions » et agir en prévention, dit l’organisme. Pour l’instant, un propriétaire laisse dépérir volontairement son bâtiment jusqu’à ce que la municipalité́ n’ait d’autre choix que de lui octroyer un permis de démolition.
Les propriétaires devraient être encouragés à mettre en valeur leurs bâtiments et à les entretenir, dans le respect des normes patrimoniales.
Le manque de ressources est un des thèmes qui est revenu le plus souvent dans les différents mémoires présentés à l’occasion de cette première journée d’audiences publiques, où il aura aussi été question, en trame de fond, du peu de cas que fait ce projet de loi pour les paysages, le cadre où s’inscrit pourtant le patrimoine bâti que l’État voudrait voir mieux protégé.