Yvan Godbout remporte sa «bataille épique»

L’écrivain avait été interrogé pour la première fois par un policier de la Sécurité du Québec en janvier 2018.
Photomontage: Le Devoir L’écrivain avait été interrogé pour la première fois par un policier de la Sécurité du Québec en janvier 2018.

« C’était une énorme bataille. Une bataille épique, même. »

Me Jean-Philippe Marcoux ne cache pas son soulagement. Son client, l’écrivain Yvan Godbout, a été acquitté jeudi des accusations criminelles de production de pornographie juvénile qui pesaient contre lui et contre son éditeur, AdA. « Je n’ai jamais compris pourquoi il avait été accusé. Comme juriste. Mais aussi comme citoyen. Et comme lecteur de livres, point. »

Rappelons que le roman d’horreur de M. Godbout, Hansel et Gretel, contenait des descriptions de « sévices physiques psychologiques et sexuels subis par un frère et une sœur ». Quatorze passages étaient en cause. Choquée à leur lecture, une citoyenne avait porté plainte.

L’écrivain avait été interrogé pour la première fois par un policier de la Sécurité du Québec en janvier 2018.

Deux mois plus tard, à 6 h du matin, deux policiers munis de mandats d’arrestation, d’entrée et de perquisition sont entrés chez lui, alors qu’il est plongé dans le sommeil. Ses équipements électroniques et des copies de son livre ont été saisis. Un interrogatoire d’une durée de cinq heures s’est ensuivi. Des questions sur sa sexualité lui ont été posées.

Le juge Marc-André Blanchard, de la Cour Supérieure du Québec, s’est penché « sur la constitutionnalité des dispositions criminelles permettant d’accuser un auteur — dans ce cas de roman de fiction horrifique — au même type que quelqu’un qui a tourné une vidéo de pornographie juvénile », explique Me Marcoux. « Ce qu’on attaquait, c’est la portée excessive de la loi, ajoute-t-il. La définition actuelle dans le Code criminel couvre une vaste gamme de matériel, sans faire les nuances. Le tribunal est arrivé à la conclusion que la disposition violait non seulement la liberté d’expression consacrée par la Charte, mais la liberté point. »

Car Yvan Godbout risquait un minimum d’un an de prison, pouvant aller jusqu’à 14 ans de pénitencier, rappelle son avocat. « Il ne s’agissait pas de le réprimander avec une petite tape sur les doigts. Ce qui l’attendait, c’était une peine avec tous les stigmates associés à une infraction criminelle, le registre des délinquants sexuels, tout ça. »

Tout ça pour un passage fictif dans un livre qui ne faisait pas l’apologie des actes, mais cherchait à les dénoncer, dit-il. Le juge a d’ailleurs rappelé que l’écrivain avait été clair durant son témoignage : « La violence sexuelle sur les enfants constitue la pire des dégueulasseries qui puisse exister. »

« Ça ne fait aucun sens »

Une des questions étudiées au cours du procès cherchait également à savoir si les descriptions de viol pouvaient « inciter à l’acte ». Pourtant, « tous les adultes dans ce livre qui posent des gestes répréhensibles à l’égard des enfants meurent à la fin dans d’atroces souffrances », remarque Me Marcoux.

« La plaignante a été choquée à la lecture de ces quelques lignes. Et c’est vrai que c’est cru, que c’est dur à lire, souligne pour sa part Laurent Dubois, directeur général de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). Mais c’est clairement la volonté de l’auteur de nous donner la nausée. Il qualifie le personnage de monstre. Il l’appelle même “Le Monstre”. La scène est insupportable parce que son coup est réussi. »

Laurent Dubois ajoute que le jour du jugement est, pour l’UNEQ, « une grande journée ». « Ça nous soulage pour Yvan Godbout d’abord. Ce qu’il a dû vivre, ça ne fait aucun sens. Absolument aucun. C’est également un soulagement pour le milieu littéraire et artistique. »

Notons ici que la décision fait état d’un rapport de Michel Veilleux, présenté comme expert en narratologie.

Ce document regroupe des types de livres présentant des « descriptions d’activités sexuelles avec des personnes de moins de dix-huit ans ». Ces livres sont divisés en six sections.

Parmi elles, le roman d’horreur et le polar, où l’on trouve Ça de Stephen King, Hell.com de Patrick Senécal et C’est pour mieux t’aimer mon enfant de Chrystine Brouillet. Puis, les romans sociologiques qui comptent The Lonely Hearts Hotel de Heather O’Neill et Le Grand Cahier d’Agota Kristof. Ainsi que les récits témoignages de violence sexuelle, dont Le Consentement de Vanessa Springora. Le tout démontre que le sujet est présent en littérature, important, et qu’il sert parfois, dans le cas des récits témoignages « d’épanouissement personnel à la personne qui a écrit le texte ».

Le juge Blanchard souligne aussi : « Certains individus, dont Godbout, peuvent raisonnablement se demander pourquoi l’on choisit de s’attaquer à son livre. »

Au sujet de l’emploi de l’adverbe « raisonnablement », Me Marcoux confie : « Le juge exprimait des commentaires sur la façon dont les policiers et le ministère public ont traité mon client. Il y a beaucoup d’éléments dans le jugement, mais il n’y a pas tout. Il s’est passé beaucoup d’événements dans ce dossier qui ont mené à la déclaration d’inconstitutionnalité. »

Et pour ce qui est de Hansel et Gretel, la décision signifie-t-elle que le titre peut revenir en librairie ? « Techniquement, oui, répond l’avocat. Ce n’est pas du ressort de mon client, mais de la maison d’édition. J’ai bien l’impression que s’ils décident de remettre le livre sur les tablettes, ils vont d’abord attendre que s’écoule le délai d’appel de 30 jours. »

Depuis les événements, M. Gobdout a témoigné avoir été incapable d’écrire. Puis d’avoir reçu des messages haineux. Mais il a également obtenu le soutien d’un grand nombre de membres du milieu, qui ont lancé une lettre ouverte en décembre dernier.

C’est notamment à ses défenseurs que l’auteur a envoyé un bref message sur Facebook hier. « Merci de vous être tenus debout à mes côtés. Très sincèrement, sans vous et mes proches, je serais vite tombé au combat. »

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