
Yallah

Je me réveille en sueur
Je vois l’explosion
à Beyrouth sur mon cellulaire
Je pense
à mon oncle
Je texte Mohamed
J’espère que toute ta famille
Se porte bien au Liban
J’ai pensé à toi aujourd’hui
Dehors il pleut des cordes
Je peux prendre les cordes
Monter et descendre
Et descendre
Et descendre
Et m’enrouler les poignets
Et escalader
Une pluie pas plus grosse qu’un cube
Pour voir le sommet
Pour me promener sans bagage
Les mains dans les poches au Liban
Je ne suis jamais allé au Liban
Pour moi
Le Liban c’est Mohamed
C’est la rue Basile-Routhier
C’est la maison
à deux minutes à pied de chez moi
C’est le soccer dans une cour à Repentigny
C’est les games du CH dans le divan en cuir
C’est le dépanneur Esso à côté du Centre Bell
C’est les Gatorade gratos avant d’aller voir
un match contre Pittsburgh ou Buffalo
C’est Pouchie qui me mord la face
et Momahed qui lance le chien
dans le plafond pour me défendre
C’est les milliers de Yallah Christophe
Yallah
Goûte à ça Christophe
Goûte à ce poulet-là
Goûte à ce dessert-là
Mange Christophe
Il faut manger
Il faut vivre
Regarde la télé avec moi Yallah
Yallah
Comme vas-y
Comme dépêche-toi
Comme je t’aime
Comme je te protège
Comme aweille saute dans la piscine hors terre
Comme affronte tes peurs
Comme sois heureux Christophe
Yallah Christophe
Le Liban
C’est les deux becs sur les joues
Tout le temps
Les deux becs sur les joues
avec sa barbe piquante
C’est les bribes de conversations en arabe
que j’entends de la cuisine chez lui
C’est les employés du dépanneur
J’aurais voulu être ami
avec chacun d’entre eux
mais j’étais trop jeune
C’est les fous rires
C’est le pinçage de cuisse
C’est le rire de Mohamed
Le rire bien à lui
Le rire du Liban
Le Liban c’est la chaise longue
Les siestes dans la chaise longue à l’ombre
Le Liban c’est quand j’ai mis une casquette
de Shell pour faire rire Mohamed
Le Liban c’est la cigarette qu’il écrasait
quand il me voyait arriver au loin
C’est tous les sacres de Mohamed
Quand il dit
Tabarnak
C’est beau comme un poème
C’est beau comme la chaleur d’un poème
C’est la vie
La vie jamais grave
La vie ça va passer
La vie
On fait avec
On joue avec
On court avec dans nos bras
On court avec la pluie dans nos bras
La pluie pas plus grosse qu’un cube
Un jour on échappe le cube
On perd le cube
Ce n’est pas grave
C’est la vie habibi
Ne pleure pas habibi
On descend des cordes
On revient sur Terre
Mohamed me répond :
Salut
Merci pour le message
Oui ils vont tous bien
Sont loin
100 km
Merci encore pour le message ♥
De rien
Mohamed
Bonne nuit
Mohamed
Bonne nuit
Beyrouth.