Les arts de la scène s’ouvrent sous l’oeil de la Santé publique

Empêcheurs de tourner en rond ? Grands castrateurs de la créativité ? Censeurs impitoyables ? Les édiles de la Santé publique n’ont pas forcément bonne presse. Nous avons voulu savoir ce qui guide leurs décisions, comment ils opèrent et quelle est leur ouverture d’esprit.
« Nous pouvons déjà faire beaucoup de choses avec les règles mises en place. » L’affirmation peut surprendre. Elle émane de la Dre Marie-France Raynault, personnage clé, qui fait le pont entre la Direction générale de la santé publique et le ministère de la Culture et des Communications pour ce qui est du déconfinement des arts de la scène, des productions audiovisuelles, des musées et des bibliothèques. Cette dernière ajoute néanmoins qu’on pourra même en faire plus très bientôt, alors que le plafond de 50 personnes pourrait être rehaussé à 250 de « façon imminente ».
Un exemple ? La Dre Raynault a travaillé sur le dossier soumis par Yannick Nézet-Séguin et Luc Chaput, directeur de production de l’Orchestre Métropolitain, du cas de la 9e Symphonie de l’intégrale Beethoven, jugée d’abord impossible à jouer avec les présentes règles. Un échange qui a pris des allures de révélation : « J’ai regardé cela avec eux, et on a compris qu’on est capables de mettre les chanteurs à distance sans isolement ni testing ! »
« Si on est capables d’enregistrer la 9e Symphonie de Beethoven, on est capables de faire pas mal de choses, poursuit la Dre Raynault. Ainsi, nous augmenterons la capacité [des salles] et diminuerons la distance au fur et à mesure que notre épidémie sera bien contrôlée. » Le plafond de 50 spectateurs sera relevé dans un premier temps à 250. « C’est imminent. » Sur le front de la distanciation, la Dre Raynault « envisage très bien qu’on puisse passer à 1 m dans quelques semaines. Si tout va bien, et si nos fêtards ne nous emmènent pas dans une deuxième vague ».
Parmi les éléments qui bougent, la responsable de la Santé publique se félicite de la dernière initiative en date , celle des « petites bulles stables ». « Si ce sont toujours les mêmes personnes qui sont ensemble (qui ne vont donc pas d’un plateau de tournage ou d’une production à l’autre), nous leur permettons de travailler à 1 m et pour une période maximale de 15 minutes par jour, et, par artiste, nous autorisons des contacts plus rapprochés qu’un mètre. Ce sont les règles que nous commençons à mettre en place pour les productions audiovisuelles. Nous regardons ce que cela donne, mais c’est une ouverture qui pourra se faire dans d’autres milieux, la danse par exemple. »
Dans le cas des orchestres, la Dre Raynault s’est tournée vers l’Institut national de santé publique en lui demandant une revue des études. « Comme les études étaient en allemand, nous les avons fait traduire. » Elle-même se range plus du côté de la prudence berlinoise que de la hardiesse viennoise. « Nous avons décidé de mettre les musiciens à 2 m, après consultation des orchestres. »
Distanciation ou couvre-visage
L’ouverture d’esprit n’empêche pas que la prudence soit le maître mot de la démarche. L’image du millier de spectateurs de la Philharmonie de Paris lors du Concert de Klaus Mäkelä, le 9 juillet dernier, a fait le tour de la Santé publique ici. Peut-on imaginer à l’automne 1000 spectateurs masqués à la Maison symphonique ? « Je regarde la situation de l’Europe de l’Ouest, qui peut nous donner des idées. […] Mais je suis un peu critique de ce que j’ai vu dans cette salle, car la distance entre les personnes est beaucoup plus protectrice que le couvre-visage. […] Pour le moment, nous sommes plus prudents. Nous sommes passés de 2 m à 1,5 m. Si cela continue à s’améliorer, ce sera 1 m. »
Sommes-nous donc, nous, spectateurs, condamnés ici à occuper une rangée sur deux ? « Pas forcément. Il faut que cela se rapproche de 1,5 m et que ce soit jamais moins d’un mètre. On comprend que les salles de spectacle n’ont pas été construites en fonction de la COVID-19. On a du 1,3 m ou 1,4 m : là on est sur la ligne. J’ai demandé à Mme Desrochers, à la Place des Arts, de me revenir avec ça. Certaines salles ont comme des gradins, ce qui augmente aussi la distance. »
La semaine dernière, le Dr Arruda expliquait d’ailleurs qu’il enlevait son masque en entrant dans une salle (en restant silencieux), alors qu’en le gardant on pourrait mettre plus de monde. La demande de spectateurs sans masques vient-elle des artistes ? « J’ai entendu tout et son contraire. Les gens de théâtre ne veulent pas entendre parler de représentations avec masques : ils ont l’impression qu’on les prive de contact et ont besoin de voir la réaction immédiate du public. Pour la musique, cela dépend du type de musique. »
Le piège des faux négatifs
Le regard vers l’avenir n’empêche pas que la saison estivale est largement perdue pour la majorité des festivals. La Dre Raynault s’en explique : « Nous prenons nos décisions sur trois critères. Notre épidémie est-elle contrôlée et est-elle mise à risque ? Peut-on mettre en place des mesures sanitaires adéquates ? Est-ce un rassemblement ? » Le troisième point posait problème : le fait que les gens arrivent tous en même temps et repartent tous en même temps est un facteur de risque, de même que les attroupements aux sanitaires. On comprend surtout que l’ensemble des rassemblements est inclus dans une même considération. Même si le public de Lanaudière est plus « méditatif » [le terme est de la Dre Raynault] que celui d’Osheaga, il est impossible de faire deux poids deux mesures.
« Au Québec, on procède graduellement, donc on a commencé à dire que 50 personnes peuvent assister [aux spectacles]. On se donne trois à quatre semaines pour regarder si ça a un effet et, ensuite, on augmente. On en est rendus à 250, car c’est vraiment imminent et, si tout se passe bien, on pourra à terme augmenter à 500 et, à partir de là, on pourra voir si les rassemblements sont gérables. Plus tard, on passera à 1000, selon la situation. »
Le principe de base qui dicte tout reste inflexible depuis le premier jour : « Nous gérons notre épidémie en fonction d’une chose : la capacité de notre système de santé à traiter les gens comme il faut. Nous pensons que c’est comme cela, en ne dépassant pas la capacité des hôpitaux, que nous allons éviter des décès. » Même la distance de 2 m (qui est de 1,5 m ou de 1 m dans certains pays) est un choix prémédité lié à la capacité hospitalière, aux ressources de tests et au poids du Québec sur le marché international « quand il faut se battre avec la France, l’Allemagne ou les États-Unis pour des masques, des réactifs et tout cela ». « Nous avons de bonnes études pour nous dire que les 2 m sont plus sécuritaires », résume la Dre Raynault.
Pour optimiser l’offre artistique, aurait-on pu imaginer d’isoler des groupes d’artistes pour qu’ils puissent par exemple préparer des symphonies de Mahler ou des spectacles élaborés de danse ? La Dre Raynault bat en brèche cette stratégie. « Ce que vous proposez a été mis en avant par les Américains et les Australiens, et nous avons la démonstration quasiment au quotidien que ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce que nos tests sont beaucoup moins bons qu’on le pensait. Dans mon hôpital, au CHUM, un hôpital universitaire, nous avons 20 % de faux négatifs. Alors, imaginez en laboratoire privé ! »
« En plus, et je ne saurais dire pourquoi, à moins de le faire à la coréenne, où ils ont soudé des portes et où cela devenait un emprisonnement, ça ne marche pas. Le milieu sportif l’a fait : Formule 1, soccer, tennis, hockey ; tous ont eu des cas et des éclosions. Donc, théoriquement, cela devrait marcher, mais cela met beaucoup l’accent sur les tests négatifs. L’autre point, c’est que, lorsqu’on teste à répétition, et ces protocoles le demandent, on se retrouve avec des faux positifs. Et là, on est obligés d’arrêter tout le monde. Enfin, c’est contraire aux lois québécoises sur les normes du travail. Les bulles fermées, les quarantaines et le testing, cela ne marche pas. »