La fougue phénoménale de Mathieu Dufour

« Est-ce que tu t’en souviens, toi, comment j’ai commencé à participer au Show-Rona ? », demandait Véronique Cloutier à Mathieu Dufour la semaine dernière, lors d’une de ses interventions quotidiennes dans le talk-show du jeune humoriste, le Show-Rona Virus. « Je parle de toi à un journaliste, demain. On va avoir l’air de deux menteurs si on ne lui raconte pas la même histoire », ajoutait la populaire animatrice qui, comme plusieurs d’entre nous, a vraisemblablement perdu toute notion temporelle.
C’était pourtant il n’y a pas si longtemps — le 14 mars — que Véro devenait la première invitée de marque de cette émission brouillonne et délirante que pilote Mathieu Dufour à partir de son appartement, avec son téléphone intelligent et une fougue digne d’une canette de boisson énergisante que vous auriez brassée toute la journée. Rien à faire : ni l’un ni l’autre ne se remémorent précisément comment Véronique Cloutier a peu à peu endossé son rôle de marraine du Show-Rona.
Elle sait cependant très bien pourquoi elle accepte encore chaque soir, à 21 heures, de jaser pendant une dizaine de minutes, en début d’émission, avec celui qu’elle n’a jamais même rencontré. « Tout ça s’est tellement fait naturellement, et c’est la grande force de Mathieu, sa spontanéité, son charisme extrême, souligne-t-elle. Pour les gens de notre industrie, Mathieu Dufour, c’est un phénomène. »
Un phénomène de quelle envergure ? En décembre dernier, l’humoriste remplissait deux fois le Club Soda, puis en février, le Capitole de Québec, sans le soutien d’une grosse compagnie. Tous les billets du spectacle qu’il devait présenter sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier en juillet pendant le festival Juste pour rire étaient quant à eux vendus depuis plusieurs semaines (l’événement aura finalement lieu cet automne).
Encore plus phénoménal : cette notoriété, « Math Duff » l’a conquise sans l’aide des médias dits traditionnels, avec Snapchat, puis Instagram, comme principaux porte-voix. « Un soir, j’ai atteint 60 000 abonnés sur Instragram », explique le Jonquiérois de 25 ans à la chevelure féline. « J’étais sur la toilette, j’ai fait un live [une vidéo en direct] pour remercier les gens, et il y avait 1500 personnes de connectées. C’était juste avant que le confinement commence. Je me suis dit : “Si je prévois un rendez-vous, sûrement qu’il va y avoir encore plus de gens.” »
Le nouveau JMP
Selon Véronique Cloutier, « toute l’industrie de la télé et de la radio a Mathieu Dufour à l’œil ». Et pour cause : il y avait longtemps qu’un talk-show, toutes plateformes confondues, n’avait pas été aussi électrisant que ce Show-Rona Virus, qui rameute en moyenne (selon l’agence Feedback, qui représente l’artiste) 6500 spectateurs (avec des pointes à 12 000), auxquels s’additionnent de 30 000 à 50 000 visionnements en différé. Des cotes d’écoute enviables, grâce auxquelles Mathieu Dufour recevait récemment un appel du bureau du premier ministre, qui souhaitait lui proposer d’accueillir (virtuellement) le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda (qui, pour l’anecdote, a préféré emprunter le compte Instagram de François Legault, plutôt que de s’en créer un).
Des vedettes de catégorie A, comme Maripier Morin, Julie Snyder, François Bellefeuille et Laurent Duvernay-Tardif, ont certes participé à cet imprévisible laboratoire télé, mais son animateur en demeure l’étoile, grâce à son enthousiasme de gamin ivre de sucre, sa capacité à transformer un instant banal en fous rires et son inaltérable verbomotricité (les mailles du filtre séparant son cerveau de sa bouche semblent très relâchées).
Toute l’industrie de la télé et de la radio a Mathieu Dufour à l’oeil
« Il nous fait beaucoup penser — l’image vient de Louis [Morissette] — à Jean-Marc Parent », confie Véronique Cloutier en évoquant l’époque où, à la barre de L’heure JMP, l’humoriste parvenait à entraîner ses disciples dans toutes sortes de mouvements collectifs loufoques.
Se sacrer des cadres
Le Show-Rona Virus rappelle aussi, forcément, le chaos plus ou moins contrôlé qui régnait jadis dans les studios vitrés de MusiquePlus où des VJ, avec autant d’expérience que de balises à respecter, parvenaient à générer des moments de grâce au sein d’interminables blocs d’animation.
Cette spontanéité, la télévision traditionnelle cherche souvent à la provoquer, et y parvient rarement. Pourquoi ? « Parce qu’on est conditionnés, répond Véronique Cloutier. La télé s’est tellement raffinée dans les vingt dernières années. Nos attentes sont toujours plus élevées. On veut des produits léchés, travaillés, tout est passé au montage, t’as plus de temps mort. Une formule éclatée, un peu tout croche, on pardonne moins ça. »
Mathieu Dufour, qui s’est inscrit à l’École nationale de l’humour sur un coup de tête après avoir fait des études de radio et de télé, sait pour sa part de mieux en mieux se défendre contre le formatage. Au cœur d’un écosystème comique où chaque blague doit avoir été polie pendant des heures et des heures de rodage, son modus operandi — tout improviser sur scène, de A à Z — lui a souvent valu des sourcillements dubitatifs.
« Au début, je me suis beaucoup fait dire que l’improvisation, c’était une béquille, que je ne pourrais pas faire une carrière là-dessus. Le succès du Show-Rona vient valider qu’il faut que je continue de me sacrer de tous les cadres. » Sauf, pour l’instant, de celui de son téléphone.