Transcender le «show» de lutrin, un spectacle littéraire à la fois

Simon Dumas, directeur artistique de Rhizome, entouré des codirectrices du Mois de la poésie Juliette Bernatchez et Vanessa Bell
Photo: Francis Vachon Le Devoir Simon Dumas, directeur artistique de Rhizome, entouré des codirectrices du Mois de la poésie Juliette Bernatchez et Vanessa Bell

« Un poète qui lit son texte, est-ce que c’est une activité promotionnelle pour vendre son recueil, ou est-ce que c’est une activité artistique ? » demande Simon Dumas, qui a depuis longtemps choisi son camp. Au tournant des années 1990 et 2000, le fondateur des Productions Rhizome prend les moyens afin que, si la lecture de poésie constitue bel et bien une activité artistique, cette activité soit envisagée comme telle par ceux qui la pratiquent. Il était plus que temps de rompre avec la formule figée de la lecture publique, durant laquelle une succession de poètes défile au micro avec plus ou moins de préparation, et ce que cette tradition génère de moments parfois pénibles.

« Si c’est une activité artistique, il faut questionner la forme, lui faire subir un stress, essayer des choses », plaide le directeur artistique de Rhizome, ce « générateur de projets interdisciplinaires dont le cœur est littéraire » — ou si vous préférez, de spectacles littéraires — qui célèbre son vingtième anniversaire jeudi à Québec à l’occasion du Mois de la poésie. « Il faut transcender le show de lutrin. »

S’il ne parle plus, comme à ses débuts, de spectacles multidisciplinaires (un mot qui trahit son époque), le désir de Simon Dumas de concevoir des œuvres littéraires hors des limites du livre en établissant un dialogue entre la littérature et d’autres formes d’art demeure indissociable de son travail, qui aura gagné en légitimité au cours des deux dernières décennies.

« L’oralité n’est plus le parent pauvre du livre. C’est simplement aujourd’hui un autre mode de diffusion de la littérature », se réjouit celui dont la dernière création, Le désert mauve, mettait en scène la légendaire Nicole Brossard, dans un spectacle empruntant beaucoup au cinéma.

[Ces spectacles] permettent aux gens d’aller à la découverte d’une poésie qu’on nous a longtemps enseignée comme quelque chose de très aride. Un spectacle littéraire, c’est être traversé par une voix, par une présence physique. C’est se faire raconter la poésie. Ce sont des textes qui prennent corps.

 

L’effervescence récente de la poésie, dont les ventes en librairie ont bondi, se traduit également en salles, observe Vanessa Bell, elle-même poète et codirectrice du Mois de la poésie, qui présente 37 activités dans la capitale nationale jusqu’au 30 mars.

« Cette parole-là [qui se déploie sur scène] est non seulement valable, elle fait partie de la littérature. Ces spectacles contribuent à ce que la poésie vive. Ils permettent aux gens d’aller à la découverte d’une poésie qu’on nous a longtemps enseignée comme quelque chose de très aride. Et ce qu’on reçoit, quand on y assiste, c’est une décharge. Un spectacle littéraire, c’est être traversé par une voix, par une présence physique. C’est se faire raconter la poésie. Ce sont des textes qui prennent corps. » Et qui, souvent, prennent au corps.

Le langage comme matériau

 

Lorsqu’elle arrive à Montréal il y a vingt ans, Catherine Cormier-Larose peine à trouver son compte dans ce que l’écosystème des lectures publiques offre. Afin de lutter contre l’entre-soi plutôt complaisant qui régnait dans ces événements, elle fonde alors les Productions Arreuh, qui pilotaient jadis le OFF-Fil, et qui pilotent jusqu’à samedi la septième édition du festival Dans ta tête.

« Le dynamisme de ce qui est en train de se passer en poésie fait que les poètes travaillent sur des projets qui débordent du livre », constate-t-elle, en évoquant notamment Tournée générale, cette virée géopoético-anthropologique (et éthylique) imaginée par les poètes Dominic Marcil et Hector Ruiz, qui investissent des tavernes de quartier afin d’en tirer des textes (et qui investiront le décor de l’exposition Broue. L’homme des tavernes du Musée de la civilisation de Québec le 28 mars à l’occasion du Mois de la poésie).

Même les soirées de lectures plus traditionnelles — de précieux laboratoires — accueilleraient de moins en moins de ces lecteurs récalcitrants, qui se pointent sous les projecteurs comme à l’abattoir. « C’est très rare [au festival] Dans ta tête que quelqu’un va arriver sur scène en disant “Je sais pas ce que je vais lire à soir”, parce que les poètes sont conscients que le public s’attend à recevoir quelque chose. »

L’auteur d’un texte n’est pas toujours son meilleur ambassadeur, a-t-on longtemps dit, une phrase horripilant Simon Dumas qui, avec Rhizome, positionne toujours l’écrivain au centre de l’incarnation scénique de son œuvre. « Un comédien pas préparé n’est pas le meilleur ambassadeur d’un texte non plus. »

Cette place faite à l’écrivain, ainsi qu’un certain rapport au langage, voilà notamment ce qui distingue cette forme que l’on appelle les arts littéraires d’une adaptation théâtrale plus traditionnelle d’un roman ou d’un recueil de poésie. « Adapter un texte au théâtre, explique Dumas, ce n’est pas la même chose que d’utiliser une œuvre littéraire comme vivier des possibles d’un spectacle. L’approche est très différente, moins utilitaire. On ne va pas aller puiser dans un texte un personnage, une situation, une histoire, mais plutôt aller à la rencontre de la polysémie d’un texte. Pour moi, ça demeure des œuvres littéraires qu’on crée, et non des œuvres théâtrales, parce qu’elles ont le langage comme matériau. »

Et pour la suite ? « On souhaite que la poésie continue de contaminer l’espace public, lance Catherine Cormier-Larose. On parle beaucoup de la Nuit de la poésie 1970 ces jours-ci [parce qu’on souligne son 50e anniversaire], mais il y a quelque chose d’encore plus fort qui se passe présentement sur la scène des spectacles de poésie. On se rend de plus en plus compte que la poésie, c’est pas épeurant, que c’est vivant, puissant. »

Le 20e anniversaire de Rhizome

Le 12 mars au Centre Horizon de Québec

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