Fernande Saint-Martin, une pionnière, s’est éteinte

Une des premières féministes québécoises et grande théoricienne de l’art, Fernande Saint-Martin, est décédée le 11 décembre, à l’âge de 92 ans. Née à Montréal en 1927, celle qui s’est mariée avec le peintre Guido Molinari a pleinement participé et contribué à l’avènement du Québec moderne.
Sa pensée et ses combats l’ont menée sur plusieurs fronts, auxquels elle est souvent arrivée par la voie de l’écrit. D’abord journaliste et critique d’art à La Presse, elle a par la suite été la première rédactrice en chef de Châtelaine (1960-1972). Après avoir dirigé le Musée d’art contemporain (1972-1977), elle a exercé le métier de professeure et de chercheuse à l’UQAM (1979-1997). C’est à ce titre qu’elle a signé des essais qui l’ont consacrée théoricienne, notamment l’ouvrage-clé Sémiologie du langage visuel (1987).
L’histoire retient cependant que ses premiers faits d’armes se sont manifestés à la galerie L’Actuelle (1955-1957), fondée avec Molinari. Le couple a permis l’essor d’un art non figuratif qui dominera la scène dans les années subséquentes. Cette « aventure culturelle », comme elle l’écrivait à l’époque, était destinée à « lutter contre tout nouvel académisme tyrannique » et à défendre « l’intégrité et les possibilités illimitées des valeurs plastiques ». Dans la publication hommage à L’Actuelle (2016), l’historienne de l’art Lise Lamarche rappelle que Fernande Saint-Martin y a tenu des « rôles multiples », y compris celui de « pourvoyeuse de fonds à même son salaire de journaliste à La Presse ».
Femme active et militante, Fernande Saint-Martin a poussé le quotidien de la rue Saint-Jacques, et peut-être même le journalisme québécois, à élargir son champ de couverture. Dans une entrevue accordée à l’auteure Christine Palmieri et publiée dans la revue ETC en 2008, elle commentait ses débuts de combattante féministe.
« À La Presse, quand je suis arrivée en 1954, j’ai un peu révolutionné les pages féminines. J’ai tout changé et on est passé de deux à six journalistes. On faisait des entrevues et on parlait tout le temps des femmes le moindrement actives. [À] Châtelaine, ç’a été un combat social continu et difficile parce qu’on était encore très proches de la “grande noirceur” : la loi interdisait de parler de contraception. »
Celle qui a toujours refusé de prendre le nom de son mari, avec qui elle a vécu cinq ans avant de l’épouser en 1958, affirmait, dans la même entrevue, avoir « agi à l’inverse de ce que la société préconisait ». Même dans ses recherches universitaires, elle estimait avoir été à contre-courant. Dans le domaine de la sémiologie, son grand champ de bataille qu’elle a mené à l’échelle internationale, elle a défini « le sens » au-delà du langage verbal, contrairement à ce que faisaient avant elle les Lacan et autre Derrida. Sa syntaxe du langage visuel comprend ainsi des effets affectifs et cognitifs. « C’est le pari que j’ai décidé d’adopter, disait-elle il y a 11 ans. Peut-être me reprochera-t-on d’avoir une approche féminine ! »
Saluée par plusieurs honneurs, notamment le titre d’officière de l’Ordre du Canada et le prix André-Laurendeau de l’ACFAS, tous deux accordés en 1988, Fernande Saint-Martin a aussi publié des recueils de poésie. Elle est décédée à Sainte-Agathe, des suites de différents problèmes de santé liés à son âge avancé, selon son fils, Guy Molinari.