Explorer le délire Bosch, entre enfer et paradis

Entre rêves et délires, entre éden et feux torrides de l’enfer, bestioles démoniaques et chairs lascives, Les 7 Doigts plongent tête première dans l’oeuvre onirique du peintre Jérôme Bosch, gommant les frontières entre arts visuels et arts du cirque. Un mariage entre mondes réels et virtuels qui lancera sur une note surréaliste le 10e festival Montréal complètement cirque.
C’est à l’invitation de la fondation néerlandaise Bosch, en 2013, que le collectif de cirque a produit cette oeuvre, Bosch Dreams, destinée à marquer les 500 ans de la mort du célébrissime peintre néerlandais. Créé en 2016 à Copenhague, ce singulier objet circassien, où les projections d’oeuvres et les images se superposent et s’entremêlent au spectacle vivant, détonne des propositions habituelles des 7 Doigts.

« Le propos de Bosch transcende toutes les formes d’art, mais quand on regarde ses oeuvres, surtout Le jardin des délices et sa profusion de corps, on voit qu’il y a une filiation naturelle avec le cirque », affirme Samuel Tétreault, un des « doigts », qui a pris la balle au bond et assuré l’entière direction artistique et la mise en scène d’un scénario forgé avec deux autres complices.
Les prémices d’une rencontre
La fascination pour les arts visuels de Samuel, élevé entouré d’oeuvres et de toiles par un père galeriste (Michel Tétreault), n’est pas née du hasard. Le souvenir de son premier contact avec l’oeuvre de Bosch, au Musée du Prado, lors d’un passage à Madrid, avait en quelque sorte déjà mis la table pour cette rencontre inopinée entre les arts visuels et le cirque. Plusieurs années plus tard, l’artiste de cirque découvrait à Buenos Aires le travail d’animation de l’artiste Ange Potier, qui mêlait la danse contemporaine à des projections d’oeuvres de Bosch. L’appel de la Fondation Bosch tombait à point nommé.
C’est le fruit de cette fusion entre les corps des artistes de cirque et les images conçues par Potier, projetées en transparence sur divers tulles superposés, qui ouvrira la porte de l’étonnant univers boschien, dont l’oeuvre hallucinée a donné lieu à maintes thèses et théories. Né en 1450, Hieronymus Bosch, à qui l’on doit Le jardin d’Éden, La nef des fous et l’illustre triptyque du Jardin des délices — longtemps perçu comme une oeuvre hérétique — a produit peu, mais assez pour donner naissance à un mythe qui a traversé les siècles, influençant autant Salvador Dalí que les groupes rock comme The Doors, Deep Purple ou Dead Can Dance.
Saisir l’âme de Bosch
Pour pénétrer l’imaginaire du peintre, Les 7 Doigts ont cousu un scénario tissé autour de la rencontre de protagonistes comme Dalí, James Morrison — auteur d’une thèse sur Bosch — avec un historien de l’art, en quête de l’âme du peintre, dans un espace onirique où se télescopent le temps et les époques.
C’est dans cet univers repu de sensualité, porté par la vision paradisiaque des délices de l’Éden, ou cauchemardesque des tortures de l’enfer, qu’évolueront sept artistes dans ce qui se présente comme les dernières heures du délire funèbre de Bosch. « Cet univers onirique fourmillant de symboles nous permet non seulement de voyager dans le temps, mais aussi à travers son oeuvre », explique Samuel Tétreault, qui ne cache pas sa fascination pour ce personnage.

La torsion et la sensualité des corps exploités par les arts du cirque collaient à merveille aux sujets dépeints par Bosch : corps tronqués, mi-bêtes mi-monstres, chairs enchevêtrées livrées tout entières à l’éros. Dans cette jungle, on tente d’effleurer l’âme de Bosch, déchirée entre délices et tortures, dont les toiles regorgent de microdétails, de femme-fleur, d’homme-insecte, d’animaux chimères et de fruits défendus.
Pour le metteur en scène, les tableaux de Bosch ne se résument pas à une illustration binaire du monde, partagé entre plaisirs et péchés. Ils révèlent de l’artiste une vision unique et révolutionnaire de l’univers pour l’époque.
« Il n’a pas peint les saints comme les peintres de son temps. Dans son triptyque, il a peint l’homme, influencé par une vision chrétienne du monde, certes, mais où l’individu se trouve au centre de l’univers. Il avait déjà un pied dans la Renaissance, il y avait un élan inédit dans son oeuvre. »
Cette évocation du bien et du mal trouve aussi son sens aujourd’hui, réactualisée et incarnée sous d’autres formes, ajoute Samuel Tétreault. « Pour moi, Bosch a peint la beauté et la laideur, la lumière et l’obscurité, ces deux extrêmes dont la vie est encore faite. »
Sur des musiques de Grappelli, Duke Ellington, The Doors, Tom Waits, Philip Glass et autres chantres de la musique psychédélique, ces rêves de Bosch, entrecoupés de textes libres, plongeront dans l’abstraction pure, mêlant théâtre, arts visuels, animations et… cirque.
« Je dirais que le cirque compose moins de la moitié du spectacle, qui compte six ou sept numéros, notamment d’équilibre sur mains, de trapèze, de mâts chinois, de roue Cyr et de cerceaux aériens. »
Si Bosch est peu connu du grand public, Les 7 Doigts affirment ne pas vouloir prêcher les convertis et ont façonné une proposition susceptible de toucher le plus grand nombre. « Ce n’est pas un show classiquedes 7 Doigts, mais je voulais aussi que ce soit un spectacle grand public. Un show qui ne soit pas seulement sombre. Ce dialogue amène le public là où on ne nous attend pas », affirme Samuel Tétreault.
Présenté pour la première fois en 2016 à Copenhague au théâtre Républik, Bosch Dreams a fait rêver la France, l’Espagne, la Corée, la Suède et Saint-Pétersbourg, et viendra terminer son songe éveillé à Montréal.