Trouver festival à sa pointure

Le Festival international de jazz de Montréal (FIJM) prend le large en créant une première édition satellite dans le quartier Verdun du 27 juin au 6 juillet, en même temps que le « grand événement » dans son Quartier des spectacles. Par cette initiative, l’organisateur Spectra embrasse la tendance des « festivals-boutiques » dont la popularité croissante peut être interprétée comme un symptôme des difficultés que rencontre aujourd’hui le circuit des grands festivals de musique à travers le monde.
La première édition du Festival international du jazz de Verdun (FIJV) — comme il est écrit sur l’affiche ! — est d’abord le fruit d’une réflexion sur le FIJM lui-même, explique son programmateur, Maurin Auxéméry. D’une part, à cause des nombreux chantiers, « il y a un rétrécissement de l’espace disponible dans le Quartier des spectacles, ce qui complique d’année en année l’organisation du festival, même si on finit par trouver les solutions nous permettant de conserver notre spécificité ».
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Les adieux d’un faux imposteurEnsuite, « nous avions le désir de créer une espèce de réseau touristique, en quelque sorte, à l’intérieur de Montréal. Inviter les gens à découvrir d’autres quartiers », à commencer par Verdun, présenté par le programmateur comme « la première étape du plan » d’investir un nouveau quartier de Montréal chaque année. « L’an prochain, on va retourner à Verdun et probablement y rester pour quelques années, mais on va aussi créer un autre hub dans un autre quartier ». Lors de l’appel d’offres pour ce projet lancé l’an dernier, 15 arrondissements avaient déposé un dossier à Spectra.
Pour Auxéméry, « l’idée d’aller à Verdun, c’est aussi d’aller à la rencontre du public du quartier avec une programmation conçue en fonction des gens », par exemple en donnant une scène à Clay & Friends et à Susie Arioli, résidents du quartier. Se rapprocher du public avec une programmation adaptée à celui-ci… le FIJV serait-il un festival-boutique ? « Ben, on l’a peut-être évoqué, concède le programmateur, mais ce n’est pas ainsi qu’on présente les choses. Le FIJM est un festival établi d’une certaine ampleur, l’idée est de faire non pas un nouveau festival, mais un prolongement du FIJM dans le quartier. Mais oui, ça peut ressembler à un festival-boutique, effectivement. »
L’anti-« grand événement »
Un nouveau festival-boutique verra le jour à Laval du 19 au 22 septembre prochain : le LVL UP Lab numérique et musique urbaine, une coproduction entre [co]motion (salle André-Mathieu, Maison des arts de Laval), Evenko (Place Bell) et le studio de création numérique HUB Studio. Pour cet événement de petite taille — les organisateurs espèrent attirer entre 5000 et 10 000 festivaliers —, on proposera une programmation rap nichée (Tizzo, Sarahmée, FouKi, White-B et plusieurs autres) en s’ancrant dans le « quadrilatère Montmorency » qui sera illuminé par le travail des artistes du numérique. Pointu et intime, précisément le profil du festival-boutique.
« Pour moi, le festival-boutique est une manière de ramener [l’événement] à une dimension plus locale, plus humaine », estime Steve Marcoux, programmateur chez [co]motion qui oppose la popularité de cette formule à petite échelle à la démesure des grands événements.
D’autant que « les gros festivals sont en train d’étouffer à cause de la flambée des cachets [versés aux gros noms de la musique] qui les met en compétition, surtout qu’à chaque saison, l’offre d’artistes capables de remplir les grandes surfaces occupées par ces festivals est restreinte ». Conséquemment, une nouvelle classe de festivals — on les appelait autrefois les « festivals de niche » — fait surface, des événements « mieux arrimés à leur environnement », ajoute Marcoux.
L’appellation « festival-boutique » est apparue dans l’industrie musicale européenne il y a moins de dix ans, là où la compétition entre grands événements musicaux est coriace, avant de se répandre en Amérique du Nord. Elle a gagné en reconnaissance lorsque certains artistes établis (Gorillaz, The National, Tyler the Creator) ont mis sur pied leurs propres petits festivals assortis d’une programmation très ciblée.
Selon le site de billetterie et de recension de l’industrie festivalière Eventbrite, le festival-boutique (toutes disciplines artistiques et culturelles, musique comprise) a connu en Grande-Bretagne une croissance de 400 % au cours des quatre dernières années.
Voir petit
Ce retour à une expérience culturelle plus intime n’étonne pas Thomas Bourdon, cofondateur du festival-boutique multidisciplinaire SOIR, qui, après avoir pris racine rue Beaubien à Montréal, a récemment inauguré, avec succès, une édition dans la ville de Québec : « Chaque année [tous les grands festivals] contactent les mêmes agences de booking, si bien qu’il y a un peu toujours les mêmes noms dans tous les gros festivals. Or, il y a tellement d’autres artistes — pas les artistes de l’heure que tout le monde s’arrache — qui ont des pratiques intéressantes, je pense que ça peut être rafraîchissant pour le public de se faire proposer autre chose. »
« On parle de plus en plus de la fatigue du festivalier », affirme Steve Marcoux, ajoutant que les mégafestivals aux affiches similaires sont, au bout du compte, interchangeables : « Y a de ces gros festivals dont on regarde l’affiche en se disant : “Ça pourrait se tenir à Montréal, à Longueuil, à Hamilton ou à London, ce serait la même affaire.” Le festival-boutique, lui, représente sa localité et ceux qui l’habitent en souhaitant avoir un impact sur eux. »

C’est ce qui a réussi aux organisateurs du festival-boutique La Noce de Saguenay, dont fait partie Frédéric Poulin. L’événement, dont la 3e édition se déroulera du 4 au 6 juillet, offre une affiche d’artistes à découvrir, ou déjà découverts par les mélomanes les plus allumés : U.S. Girls, KNLO, Munya, Pierre Kwenders, Milk & Bone, entre autres.
Une affiche pointue qui répond au besoin de la population : « Y a une clientèle jeune et bouillonnante à Saguenay qui avait besoin d’un festival comme celui-ci », estime Frédéric Poulin, qui affirme même que la moitié de ses festivaliers proviennent de l’extérieur de la région — 22 % des détenteurs de billets sont d’ailleurs de la région montréalaise.
« Notre ambition ne sera jamais de devenir un grand événement, explique Poulin. De toute façon, l’endroit qu’on a choisi — la Zone portuaire de Saguenay — a une capacité maximale d’environ 10 000 personnes [l’organisation vise 5000 festivaliers]. C’est surtout sur le plan du décor, de l’aménagement des lieux, qu’on se démarque en créant une atmosphère. Les gens aiment la vibe, l’animation des lieux, d’autant qu’on propose beaucoup de découvertes musicales. Nous aspirons à demeurer dans notre niche et à attirer les gens d’année en année. »
« Une des raisons pour lesquelles on a créé SOIR, dit Thomas Bourdon, c’est parce qu’on ne se retrouve pas dans le modèle de diffusion [des grands événements]. Personnellement, je vais rarement voir des spectacles dans de grands festivals parce que je ne trouve pas intéressant d’être là dans une immense foule — au niveau de la connexion avec l’artiste, c’est difficile de vraiment vivre quelque chose, avec le volume sonore trop fort, les gens entassés, etc. Je crois que, dans les plus petites manifestations, il y a quelque chose de plus porteur et d’unique. C’est vivre une expérience plus authentique et à échelle humaine. »