Javier Escamilla: engagé, de la Colombie à Trois-Rivières

Ce texte fait partie du cahier spécial Arts et ville
Javier Escamilla a remporté le prix Artiste dans la communauté 2018, accordé par Les Arts et la ville et le Conseil des arts et des lettres du Québec. Avec le projet d’éducation citoyenne Change le monde, une œuvre à la fois, créé en 2011 par le Comité de solidarité Trois-Rivières, son équipe et lui ont permis à des centaines de citoyens de la Mauricie et du Centre-du-Québec de créer des œuvres engagées et, même, d’exposer au musée. Portrait de cet artiste-médiateur culturel, qui a fait de l’engagement communautaire un projet de vie.
Lorsqu’il est venu au bout de son parcours de francisation à Trois-Rivières, où le gouvernement l’a installé en 2002 à son arrivée comme réfugié politique en provenance de Colombie, Javier Escamilla s’est fait dire qu’il était temps d’aller en stage. Il avait le choix entre Provigo, Maxi et Walmart. Il a refusé net. Il voulait aller dans un organisme communautaire actif en solidarité. On lui a alors dit que ça ne marchait pas comme cela. Et qu’il devait se préparer à vivre une vie différente de celle qu’il vivait en Colombie. Or, s’il avait changé de lieu, il était resté la même personne. Une personne profondément engagée dans sa communauté, qui a décidé de faire de la « résistance civile non armée » en utilisant la culture comme moteur.
Retour aux études
« C’est un choix de vie », précise celui qui a fui son pays en pleine guerre civile à 35 ans, avec sa conjointe et ses deux enfants.
Il a ainsi quitté la francisation et est allé frapper à la porte du Comité de solidarité Trois-Rivières. Il y a d’abord fait de l’accompagnement pour le programme Québec sans frontières qui permet à des jeunes de 18 à 35 ans de vivre des projets de solidarité internationale.
En 2005, il retourne aux études pour faire un baccalauréat en arts plastiques à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
« J’avais toujours utilisé l’art dans mes interventions, mais pas de façon professionnelle et je trouvais que cette formation allait m’aider à travailler de façon plus efficace sur le terrain », explique Javier Escamilla, qui a réalisé en Colombie des études universitaires en éducation et travaillé plusieurs années sur différentes thématiques, comme la conservation de la nature, l’agriculture biologique et les droits de la personne.
Le projet Change le monde
Les bases de Change le monde, une œuvre à la fois, qui accueille autour de 400 participants par année, étaient donc jetées. L’idée derrière ce projet du Comité de solidarité Trois-Rivières était de se faire inviter dans des écoles et organismes communautaires afin de donner envie à des groupes de se lancer dans un projet artistique.
« Ce n’est jamais imposé », précise Javier Escamilla.
Le groupe s’installe donc en cercle pour discuter et l’artiste pose toutes sortes de questions. « Comment ça va, toi ? » « Penses-tu que la relève peut suffisamment prendre la parole ? » « Quelle est la force de la communauté ? » « Crois-tu que tu peux changer le monde à partir de l’art ? ».
C’est ainsi qu’à travers cette discussion, Javier Escamilla sait créer l’étincelle chez plusieurs, qui eux-mêmes oseront plonger dans un projet artistique en vue de transformer la société. Il les accompagne ensuite pendant environ dix séances pour faire avancer la création artistique. Il refuse de donner un thème annuel aux participants : « un vrai leader doit donner des outils pour que chacun soit libre, autonome et responsable de ses actes ».
Par exemple, une personne indignée par tous les déchets qu’on trouve dans les océans est amenée à réfléchir et à aller chercher de l’information sur le sujet pour mettre le doigt sur ce qu’elle souhaite dénoncer précisément. Puis, disons qu’une image de plongée sous-marine lui vient en tête, dans un décor rempli de vieux pneus de voiture. C’est alors que l’artiste demandera au participant s’il a quelque chose à proposer.
« C’est plus facile de dénoncer que de proposer », remarque-t-il.
Par exemple, le participant peut choisir d’utiliser de vieux pneus pour réaliser une sculpture qui dénonce les déchets qui s’accumulent dans l’océan.
« Dans ce processus de recherche-création, la personne a un flash, mais elle est invitée à le nourrir, explique Javier Escamilla. C’est très différent de ce qu’on voit ailleurs et ça confronte les gens, ça les dérange dans leur confort. Les premières rencontres sont particulièrement difficiles pour les participants. »
Pour lui, l’art n’est pas un loisir, quelque chose qu’on fait pour se relaxer.
« Je prends l’art 100 % sérieusement », précise-t-il.
Le citoyen au musée
Si Change le monde, une œuvre à la fois est loin d’être un concours, une sélection de projets est tout de même réalisée chaque année pour monter une exposition à l’affiche un mois au Musée POP voué à la culture populaire du Québec.
« Entre 60 et 70 projets sont choisis pour leur engagement, la clarté du message véhiculé et la qualité artistique, explique Javier Escamilla. Environ 3000 personnes ont visité l’exposition cette année et l’an dernier. »
Par la suite, Change le monde, une œuvre à la fois devient une exposition itinérante. Elle est invitée à plusieurs événements liés au développement durable à travers la province.
Les projets de l’artiste-médiateur culturel l’amènent ainsi à découvrir le Québec un peu plus à chaque année. Cet été, ce sera Natashquan, où il réalisera des projets avec des communautés autochtones.
« Ce que j’aime le plus, c’est aller à la rencontre des gens. Que ce soit les communautés autochtones, les nouveaux arrivants, les femmes, les enfants. J’aime travailler à briser l’isolement », affirme Javier Escamilla, qui anime aussi les ateliers des Impatients, à Shawinigan, ateliers qui s’adressent à des personnes ayant des problèmes de santé mentale.
Maintenant amoureux du Québec, celui qui considère sa nouvelle identité comme étant « tropico-boréale » est heureux de pouvoir travailler à améliorer le vivre ensemble.
« Le Québec aujourd’hui est composé d’une grande diversité culturelle, précise-t-il. Ce n’est pas qu’une question de couleur de peau, mais de gens qui pensent différemment. C’est une vraie richesse qu’il faut valoriser. »
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