

L’homme aux mille savoirs
Plus qu’un peintre magistral, Léonard de Vinci aura d’abord été un curieux insatiable
En googlant le nom « Mona Lisa », on arrive à 240 millions de résultats. Che figata ! comme on dit à Florence. Leonardo da Vinci donne à peine moins (228 millions), quatre fois plus que son rival Michelangelo.
L’oeuvre classique fait encore pop, plus de 500 ans après son apparition. La Joconde est la Lady Gaga (307 millions de hits) ou une Kardashian (296 millions) du Cinquecento. Elle appartient à une classe à part avec quelques autres merveilles, dont le David de Michel-Ange, La jeune fille à la perle de Vermeer, Les nymphéas de Monet ou La nuit étoilée de Van Gogh.
Des variations de toutes sortes existent maintenant, dont l’irrévérencieux L.H.O.O.Q de Marcel Duchamp, ready-made dadaïste iconoclaste, pied-de-nez aux legs artistiques. Fernando Botero l’a peinte gonflée comme une outre et Fernand Léger, avec des clés. Andy Warhol l’a sérigraphiée et Salvador Dalí en a fait Autoportrait Mona Lisa. Leonardo l’a lui-même dessiné nue (Mona Vanna).
La mégavedette a été déclinée sous mille et une formes, des serviettes de table aux t-shirts. Des vedettes de la pop, comme Beyoncé et Jay Z, ont tenu à poser devant ce tableau. Et consacrazione finale, une des quatre tortues Ninjas porte le prénom de son créateur.
« Tout le monde a entendu le nom de Léonard, c’est sûr », dit Eva Struhal, professeure d’histoire de l’art à l’Université Laval. « Même les grandes figures de l’art de la Renaissance comme Raphaël ne sont pas aussi connues. » Seulement, interroger la postérité et l’influence de cet artiste et de son art fait-il sens dans ce sens ? De quoi Vinci est-il le nom ? D’un artiste, d’un théoricien de l’art ou bien d’un ingénieur, d’un inventeur, d’un penseur, ou de toutes ces pratiques sublimement maîtrisées ?
« On retient de lui les tableaux exposés au Louvre, mais [...] pour le comprendre, on a tendance à être fortement anachronique », commente Denis Ribouillault, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Montréal. « Il faut essayer de le replacer dans son contexte. Ses activités d’artiste, d’ingénieur, de scientifique ou d’inventeur n’étaient pas séparées. »
Les deux historiens de l’art ajoutent que Léonard s’intéressait à la nature de manière générale, notamment par la peinture et le dessin, conçus comme des activités de connaissance du monde. « Il était à la recherche des causes de phénomènes observables, ajoute M. Ribouillault. [...] Cette curiosité s’exprimait de plusieurs manières. Dans l’art, le dessin lui servait à observer et à comprendre les phénomènes de la nature. » « Pour [lui], la peinture est une recréation du monde naturel, précise Mme Struhal. Cette proposition aura beaucoup d’influence et marque la naissance du dieu peintre, de l’artiste quasi divin. »
De Vinci devient célèbre rapidement, de son vivant. « Son génie inventif a fasciné son époque, il s’est fait apprécié des grands mécènes de son temps », explique M. Ribouillault.
Il n’existe qu’une vingtaine de toiles authentifiées de Léonard, qui ne fonctionnait pas comme un artiste entrepreneur à la manière de certains de ses contemporains, dont Raphaël, qui déclinaient les copies d’atelier. Comme les rares de Vinci sont répartis aux quatre coins du monde, avant les moyens techniques de reproduction, il était compliqué de s’y coller.
Sa notoriété gonfle au fil du demi-millénaire suivant. Les vies de Giorgio Vasari, ouvrage fondateur de l’histoire de l’art, établit le génie de Léonard de Vinci en 1550. La publication à Paris en 1651 de son Traité sur la peinture, recueil de collages de ses manuscrits éparpillés, le hisse en théoricien de l’art. « Le traité contribue à établir sa fortune au XVIIe siècle, dit la professeure Struhal. Léonard est essentiel pour l’art et la science parce qu’il revalorise l’observation. Artistes et scientifiques vont comprendre l’importance de regarder la nature plutôt que dans les livres pour comprendre le monde. »
À la longue, de Vinci devient un mythe, l’incarnation de l’humain complet, surdoué en art comme en sciences, capable des plus grandes prouesses techniques. « On ne peut plus imaginer un intellectuel de cette trempe dans notre situation de disciplines compartimentées », croit Mme Struhal. L’essor des musées, du tourisme culturel et la reproduction de ses oeuvres vont propulser sa notoriété universelle. Même 500 ans après sa mort, son legs recèle encore de mystères. Des centaines et des centaines d’articles ont été écrits depuis le XIXe siècle sur son oeuvre de jeunesse Paysage de la vallée de l’Arno, cite en exemple le professeur Ribouillault. «Et on ne sait pas tout encore. D’où il l’a réalisé, si c’était en plein air, ou si son maître Verrochio l’a retouché. » Le même mystère plane sur La Joconde, recréation ouverte du monde par excellence. « Sa notoriété s’explique par son mystère, renchérit M. Ribouillault. Plus il y a des choses que l’on ne comprend pas d’une oeuvre, plus elle peut être interrogée. »
Plus qu’un peintre magistral, Léonard de Vinci aura d’abord été un curieux insatiable
L’influence multicentenaire du dieu peintre et de l’artiste absolu.
Le savoir de dimension universelle façonné autour de Léonard de Vinci a fait oublier son côté guerrier.
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