À la lumière de l’art

Une firme qui produit à la chaîne des lampes de luxe a choisi d’ouvrir ses espaces à l’art. Des créateurs de tous horizons seront conviés à s’inspirer des studios et ateliers de Lambert & fils. Et à exposer, au bénéfice du public, le résultat des explorations dans un univers de produits usinés.
Dans le fin fond de la rue Hutchison à Montréal, juste avant la voie ferrée, naît ces jours-ci une galerie peu commune. Elle peut bien avoir été baptisée Corridor, elle ne se situe pas dans l’endroit le plus passant.
Certes, Corridor n’est pas la première à se trouver une niche à l’abri des regards. Mais elle peut sans doute se vanter d’être une des rares au Québec, voire la seule, à conjuguer design industriel et art.
Il est aussi peu fréquent qu’une entreprise décide de consacrer un local à la simple diffusion d’une production artistique, sans des fins de vente. Il y a quelques cas, comme Québecor et son « espace musée ».
Désormais, il y a cette Corridor, imaginée par Lambert & fils et enclavée au sein de cette firme spécialisée dans la conception et la fabrication de luminaires.
« Un espace pur de création », « un incubateur », « un poumon » et même « un fantasme ». Samuel Lambert, l’homme derrière l’entreprise fondée en 2010, ne manque pas d’images lorsqu’il cherche à définir la nouvelle galerie.
« La galerie d’art n’est pas là dans une perspective de rentabilité, mais on veut investir là-dedans. On en est fiers, et ce n’est pas que du vent. C’est un statement, qu’on fait d’abord devant les employés », dit l’homme d’affaires et designer par défaut.
« Dès la fondation, poursuit-il, il était clair pour moi que je me battrais pour un espace pur de création, peu importe la discipline, luminaire ou pas. Même, c’est mieux si ça n’en est pas, des luminaires. »
Jadis artiste
C’est presque un retour aux sources que Samuel Lambert entame avec l’ouverture de Corridor. Un retour à la création pure, comme il dit. Au tournant des années 1990, jeune homme, il étudiait en cinéma et en arts plastiques. Il a même fait partie d’une génération d’artistes remarqués, s’est fait connaître pour son travail avec Emmanuel Galland, a failli exposer au Musée d’art contemporain, a conçu avec Nicolas Baier le mobilier du défunt Laïka…
Mais il a choké et a tourné le dos à la création, au profit d’une carrière en affaires, par le biais d’une boîte de montage de films. Ce n’est qu’en raison de sa « crise de la quarantaine » qu’il est revenu au travail d’atelier. D’abord en restaurant des chaises Eames, sa collection personnelle, qu’il revendait à fort prix.
« Je suis un gars d’atelier et j’ai toujours eu du plaisir à fabriquer autant les choses des autres que mes propres trucs », dit Samuel Lambert.
« Avec l’argent [tiré de la vente des chaises], j’achetais de petites pièces, des morceaux de lampe. Je les démontais, refaisais des lampes et on me demandait d’en faire des répliques. Il a fallu que je trouve une façon de les fabriquer. J’ai créé des collections. »
Depuis, ç’a fait boule de neige et l’entreprise baptisée de son nom n’a cessé de grandir. Aujourd’hui, Lambert & fils vend partout dans le monde, roule sur un chiffre d’affaires évalué à 8 millions de dollars et emploie une cinquantaine de personnes.
La galerie Corridor commence son histoire avec une exposition du designer suisse Adrien Rovero. Intitulée Feu de camp, elle réunit une série de luminaires « à la fois simples et raffinés » inspirés par le scoutisme.
L’expo inaugurale en est donc une de lumière, mais Samuel Lambert assure qu’elle pourrait bien en être la seule. Son idée consiste à attirer des créateurs de tous horizons et à leur donner du temps, de l’espace et des ressources pour travailler.
La fusion des genres
« Le fantasme, c’est dire à un artiste : “On t’offre l’atelier, on t’offre nos ressources. Est-ce que tu veux faire quelque chose ?” », résume celui qui imagine que des installations sonores ou des photographies sur le mouvement prendront place dans Corridor.
La rencontre, le mélange, la fusion entre les genres sont porteurs de sens chez Lambert & fils. On y prêche certes pour sa paroisse, car, dans le fond, il s’agit de mettre l’objet de design à hauteur de l’oeuvre d’art.
C’est dans cet esprit que travaillera Alexis Pautasso, mandaté pour diriger la galerie. « On veut pousser plus loin que juste un objet commercial », dit-il. Incubateur de créativité, dont on souhaite que même le personnel de la boîte en tire bénéfice.
« C’est notre statement, admet Samuel Lambert. Je suis touché par un objet de design, par sa courbe, par la rencontre de la matière. Je veux partager ce feeling. Il y a quelque chose d’égocentrique : on se fait d’abord plaisir et on partage le bonheur qu’on a à cohabiter avec ces objets. »
L’ex-artiste a toujours préféré l’ombre de l’atelier à la lumière de l’exposition. Il n’aime pas jouer les vedettes et c’est d’ailleurs comme un « studio collaboratif » qu’on identifie Lambert & fils. « Fils ? Ce sont tous les employés », raisonne-t-il avec un rire, cherchant encore aujourd’hui l’explication de la raison sociale qu’il a choisie.
Corridor est à découvrir au bout de la rue Hutchison, à l’intérieur du dernier bâtiment avant la voie ferrée. Par la suite, elle n’est pas difficile à trouver puisqu’elle est visible, comme son nom l’indique, du corridor. En fin de compte, chez Lambert et sa gang, l’objectif est de rendre accessible la création. Lumineuse ou pas, ça importe peu.