Des artistes font parler des témoignages muets au Mémorial de la Shoah, à Paris

Des artistes restituent la force des témoignages de survivants de l’Holocauste, dans des films pour la plupart muets qui saisissent l’expression des visages, dans une exposition qui s’est ouverte au Mémorial de la Shoah, à Paris.
Soixante-treize ans après la libération des camps d’extermination, comment restituer la force du témoignage pour les générations d’aujourd’hui ? Les documents sont nombreux, détaillés, mais il faut les présenter de manière toujours renouvelée pour que la mémoire ne s’étiole pas.
C’est la préoccupation de la commissaire Sophie Nagiscarde, qui, dans l’exposition Regards d’artistes, oeuvres contemporaines sur la Shoah, a choisi cinq artistes qui livrent autant de témoignages à la fois émouvants et dépouillés.
Deux oeuvres scrutent les visages de survivants : l’une d’elles, de l’historien Christian Delage, est consacrée aux « récits de Simon Srebnik », survivant du camp de Chelmno, en Pologne. On le voit témoigner à divers âges, et au procès du criminel nazi Adolf Eichmann.
Une séquence saisissante du film Shoah, de Claude Lanzmann (1985), qui a été coupée au montage, montre le cinéaste avançant sur un beau chemin forestier avec Simon Srebnik, à l’endroit même où il avait vu des déportés juifs être gazés. On voit Simon Srebnik incapable de témoigner, de remuer même les lèvres, le regard totalement perdu.
Dans le documentaire muet d’Esther Shalev-Gerz, Entre l’écoute et la parole, montré en 2005 une première fois à la mairie de Paris, une quarantaine de survivants sont filmés « au moment où ils recherchent leurs souvenirs pour les restituer », explique Mme Nagiscarde. Trois plans du même moment-clé de l’entretien permettent en triptyque de cerner leurs moindres expressions de lèvres, de sourcils, quand « ils repartent là-bas ». Impressionnant. Trois quarts de ces témoins sont morts depuis ce tournage.
Réservoir 1, de Natacha Nisic, est une photo en apparence paisible d’un réservoir d’eau d’Auschwitz aujourd’hui. Les oiseaux chantent, la nature a repris ses droits. On y voit sortir la tête de l’eau une bête, sans doute une grenouille, qui ressemble à une tête de mort effrayante.
Dans Dansez sur moi, Arnaud Cohen fait valser des lumières (comme sur une piste de danse) sur trois fausses dalles funéraires de Maurice Rocher, un industriel collaborationniste, Jean Bichelonne, polytechnicien chargé d’intégrer les usines françaises au complexe militaro-industriel du Reich, et Wernher Von Braun, l’inventeur des fusées V1 et V2.
Un dernier film tourné dans le stade abandonné de Nuremberg, où se déroulaient les rassemblements du parti nazi, est accompagné de la voix de l’actrice allemande Angela Winkler qui égrène lentement des prénoms de victimes diverses du nazisme (et non les noms de famille) afin que chacun puisse s’identifier à elles.
L’exposition est ouverte jusqu’au 10 février.