«Passagers»: prière de monter à bord

On prend toujours un train pour quelque part, chantait Bécaud. En partance de La Tohu, dans un spectacle qui prend la forme d’une ode au voyage, Les 7 doigts en font autant en invitant le public à monter à bord pour un aller simple. Destination : la vie.
Hautement esthétique et imaginatif, ce nouveau cru du collectif de cirque, présenté durant toute la période des Fêtes, explore toutes les facettes de son thème central, le voyage, habilement présenté comme une métaphore de l’existence. Décliné autour de projections plongeant le spectateur dans l’univers des trains, au carrefour de gares, de lumières au bout de tunnels et de rails sans fin, Passagers prend son envol dès le lever de rideau avec le souffle saccadé de ses huit interprètes.
Un souffle, une respiration qui, à la manière du roulis d’un train, rythmera la prochaine heure et demie. En fond de scène, des lettres similaires à celles des afficheurs des aéroports défilent, indiquant les prochaines destinations : Chambly, Capetown, Angers, Édimbourg… Autant de lettres qui illustrent les allées et venues des circassiens, ces globe-trotteurs propulsés sur toutes les scènes du globe.
Ballottés dans des voitures de train et au détour de gares, espaces anonymes et hors du temps, des acrobates larguent les amarres à la recherche de lieux rêvés, autant que d’eux-mêmes. Soulignant à grands traits le parcours des artistes, ce périple braque tour à tour les projecteurs sur chacun des acrobates venus des quatre coins de la planète, dans des numéros plus personnels qu’acrobatiques.
Fragiles équilibres sur main, chanson douce entonnée au ukulélé au détour d’un numéro de cerceau, puissant exercice au trapèze fixe, portées audacieuses et voltiges à la banquine : Passagers marie images, musique et prestations acrobatiques dans un tourbillon évocateur et inspirant. La prestance des huit jeunes artistes sur scène est lumineuse, notamment lors d’un numéro de contorsion hors norme, livré entre les banquettes d’un train par la jeune Maude Parent, qui saisit ensuite la salle en entonnant à sa façon l’air grave de Burma Shave de Tom Waits.
S’il est une chose qui transpire plus que tout de cette fresque en mouvement, c’est l’omniprésence et l’empreinte toute personnelle des somptueuses projections et de la trame sonore originale qui enveloppent et magnifient ce récit sur les partances de tout acabit. Des images qui transportent ailleurs, entre champs de blé, structures industrielles et souvenirs d’enfance, portées par la musique de Radiohead, Boogat, Big Brutus, Tom Waits et surtout de thèmes composés par Raphael Cruz, jeune acolyte des 7 doigts, décédé de façon subite à Paris l’an dernier.
Dédié à la mémoire de ce jeune artiste multitalentueux, dont le train s’est arrêté trop tôt, Passagers n’est toutefois ni sombre ni triste, plutôt une variation sur la fugacité de la vie, sur l’importance de s’éloigner pour mieux se retrouver. « Le voyage, c’est aller de soi à soi en passant par les autres », dit un proverbe berbère. Malgré quelques longueurs et délais entre deux gares, Les 7 doigts en font la démonstration dans cette proposition singulière qui nous transporte ailleurs, le temps d’un aller simple. All board !