Les artistes s’engagent en faveur de l’environnement en assumant leurs contradictions

Le Pacte pour la transition a été lancé mercredi dernier pour contrer les changements climatiques dans les deux prochaines années par des actions individuelles et politiques.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le Pacte pour la transition a été lancé mercredi dernier pour contrer les changements climatiques dans les deux prochaines années par des actions individuelles et politiques.

L’humoriste engagé Fred Dubé a signé le Pacte pour la transition écologique de Dominic Champagne, à l’appel de 500 artistes et personnalités du Québec, comme plus de 175 000 Québécois maintenant. Il était à la manifestation des « écolos » samedi à Montréal. Mais il ne va pas s’empêcher pour autant de faire la leçon aux donneurs de leçons.

« Les contradictions ne me dérangent pas, commente le jeune Dubé en entrevue au Devoir. On a tous des contradictions, moi le premier. Des chroniqueurs ont cherché des poux autour de ces détails. C’est facile. Par contre, il y a beaucoup d’hypocrisie. Ça, ça me pue au nez. »

Quelle différence fait-il entre contradiction et hypocrisie ? « Je m’en fous que Véronique Cloutier recycle sa canne de bines ou pas, poursuit l’humoriste qui pratique son art à coups de marteau. Ce qui énerve le monde, c’est le mode de vie des artistes, c’est que Véronique Cloutier fasse la promotion de son émission de radio en jet privé. »

L’animatrice et sa bande des Fantastiques de RougeFM ont commencé un tour du Québec en avion au début du mois, juste avant de signer le Pacte, ou peut-être en même temps. Guy Laliberté, du Cirque du Soleil, appuie aussi l’initiative, même s’il passe sa vie à voyager en avion privé entre ses domaines, sur trois continents, en plus d’être allé dans l’espace.

« C’est pertinent aussi de critiquer le rapport à la pub des artistes, enchaîne M. Dubé. Il faut que l’élite artistique soit sensible à cette réticence publique. Je suis encore plus agacé de constater que ces mêmes vedettes occupent des tribunes importantes tous les jours, mais ne parlent jamais du problème de fond. L’industrie culturelle vise la croissance comme toutes les autres industries. C’est aussi contre ce genre de croissance infinie qu’il faut militer. »

Lui-même a perdu sa place de chroniqueur à Ici Radio-Canada Première en 2016 quand il a dénoncé la mainmise de l’élite « néolibérale » sur la culture.

Si on se pactait ?

Le Pacte pour la transition, une initiative du metteur en scène Dominic Champagne, a été lancé mercredi dernier pour contrer les changements climatiques dans les deux prochaines années par des actions individuelles et politiques. M. Champagne a ensuite rencontré le nouveau premier ministre pour exposer ses desiderata.

La professeure d’histoire de l’art Ève Lamoureux, spécialiste des liens entre art et politique, n’a pas participé à la marche, ni signé la pétition, pour maintenir sa neutralité.

« C’est une très vieille tradition pour des artistes et des intellectuels de s’engager et de prendre parti, souvent en groupe, dit-elle. C’est devenu classique depuis l’affaire Dreyfus. »

Elle ajoute que prendre position publiquement, c’est inévitablement risquer la critique publique. « La question de la cohérence se pose, dit-elle. Il y a tellement eu d’intellectuels et d’artistes au XXe qui ont pris des positions sans s’y tenir dans leur vie. » Elle cite le cas de Bertolt Brecht, devenu un pacha subventionné du régime de l’Allemagne de l’Est après la guerre.

Reste qu’au total, l’artiste ne constitue qu’une voix (forte) parmi d’autres. Ce qui compte, c’est le poids du nombre. Les manifestations ont fait cesser la guerre au Vietnam, pas (seulement) les chansons de Joan Baez.

« Si la voix porte, c’est effectivement parce qu’elle reflète une pensée collective, dit la professeure. À l’inverse, la voix de personnalités connues peut stimuler l’engagement. Il y a un jeu entre les deux pôles. »

L’auteure de l’essai Art et politique (Écosociété), qui porte sur « les nouvelles formes d’engagement artistiques au Québec », fait aussi remarquer que notre époque postmoderne, anti-institutionnelle et hyperindividualiste favorise l’« engagement à la carte », selon une formule du sociologue français Jacques Ion.

« Les modalités d’engagement sont plurielles. Le Pacte demande à chacun de s’engager selon ce qu’il est prêt à faire. L’artiste peut le faire en prenant position une fois ou en siégeant à un conseil d’administration par exemple. L’engagement à long terme est aussi possible, y compris dans l’art, même s’il faut bien distinguer l’art engagé et l’engagement de l’artiste. »

Engagez-vous

 

Sylvette Babin, directrice de la revue esse arts + opinions, acquiesce. Elle remarque d’ailleurs que les artistes prennent de plus en plus position sur toutes sortes de causes, de la montée de la droite au féminisme en passant par les questions d’identité, l’appropriation culturelle ou l’environnement. Le mouvement #MoiAussi, ça vous dit quelque chose ?

« Les artistes sont de plus en plus engagés dans diverses causes sans que cette prise de position se transcrive dans leur art, et tant mieux, dit-elle. On peut être à la fois un citoyen très engagé et un artiste qui propose une oeuvre plus ouverte, plus multidirectionnelle. Parce qu’il y aura toujours ce risque d’instrumentaliser l’art pour en faire un outil politique, même si la nuance est parfois très fine. »

Elle juge finalement que l’art politique ou l’art engagé n’est « pas toujours, pas souvent même » esthétiquement intéressant. « Les oeuvres politiques ou engagées les plus intéressantes, à mon avis, sont celles qui prennent position dans le discours (ou les actions) de l’artiste, mais qui laissent la place aux spectateurs et spectatrices de construire leur propre positionnement. » Elle cite « de beaux exemples » dans l’exposition Soulèvement,présentée en ce moment à la Galerie de l’UQAM et à la Cinémathèque québécoise.

Fred Dubé ne crie pas au soulèvement populaire. Il sait bien que le Québec vient d’élire le pire des quatre grands partis en lice aux dernières élections du point de vue du programme écologique. Il propose alors cette allégorie : s’il était un agriculteur et qu’on lui annonçait la fin du monde pour demain, il irait quand même labourer sa terre, au cas où la catastrophe ne se produise pas.

« Je me dis aussi que nos pressions vont rendre les dernières heures des ploutocrates les moins agréables possible, dit-il. Je n’ai plus aucune confiance dans l’initiative des gouvernements, tous soumis à la croissance. Ils croient donc que le problème causé par le marché sera réglé par le marché. Je crois plutôt que la solution va venir d’un mélange de scientifiques audacieux qui vont sortir de leur laboratoire, appuyés par des citoyens informés. » Et quelques artistes aussi…

À voir en vidéo