Les trésors du séminaire Saint-Joseph

Alors que l’avenir de dizaines de centres d’archives privés et agréés du Québec est entre les mains de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, qui décidera de leur financement en octobre prochain, Le Devoir est allé voir les trésors qu’abritent certains d’entre eux.
Dans la collection léguée par Montarville Boucher de la Bruère au centre d’archives du séminaire Saint-Joseph, à Trois-Rivières, on trouve des brouillons d’éditoriaux d’Henri Bourassa. Montarville Boucher de la Bruère, qui a travaillé au Devoir au début du siècle dernier, serait allé les récupérer directement dans la corbeille à papier de l’auguste fondateur de votre journal quotidien. Ils dorment désormais en bonne compagnie à Trois-Rivières, aux côtés de documents signés de Louis XIV, de François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier ou de Charles Baudelaire…
Descendant de Pierre Boucher, qui fut gouverneur de Trois-Rivières et fondateur de Boucherville, Montarville Boucher de la Bruère était donc manifestement collectionneur dans l’âme. Il a cédé son fonds d’archives au séminaire de Saint-Joseph en 1934. Celui-ci témoigne de la vie de dix générations de Boucher, en particulier de la branche de la Bruère au Québec. On y trouve notamment la dernière lettre signée par Chevalier de Lorimier, qui attendait alors le jour de sa pendaison en prison. Cette lettre est adressée au père de Montarville Boucher de la Bruère, Pierre Claude Boucher, qui était lui-même un patriote. Un manuel de contredanse du XVIIIe siècle y fait l’objet de recherches internationales. Et ces manuscrits ne forment qu’une infime partie de l’immense collection archivistique du séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, qui compte à elle seule 900 fonds d’archives des plus variés.
Christian Lalancette, archiviste attitré de ces collections, nous reçoit dans la grande salle des archives, sous le dôme iconique du vénérable collège privé qui forme les Trifluviens depuis des générations. C’est le prêtre Albert Tessier, qu’on désigne comme le pionnier du cinéma québécois, qui avait reçu en 1918 pour mission de réunir les archives documentaires du séminaire, accumulées depuis 1860.
Depuis, les archives du séminaire Saint-Joseph ont pris de l’ampleur et du prestige. Quatre des 900 fonds d’archives réunis ici sont reconnus comme étant des « biens historiques » depuis 1979. Et une petite exposition, dans le hall du séminaire, célèbre les 100 ans du fonds d’archives cette année.

Parmi les trésors du centre, on trouve le fonds d’Auguste Désilets, avocat de la région vivant au tournant du XXe siècle, collectionneur d’autographes à ses heures. Ce fonds compte 37 documents iconographiques, dont les plus anciens datent du XVIe siècle. Le plus ancien d’entre tous est un paraphe de François Ier qui date d’avant 1547, mais on trouve aussi les signatures manuscrites de Louis XIV, de l’actrice Sarah Bernhardt, d’Albert Einstein, de Franz Liszt, de George Sand, de Louis Pasteur, d’Alexandre Dumas, de Charles Baudelaire et d’Abraham Lincoln. Le paraphe de ce dernier est d’ailleurs exposé aux côtés d’une photo de John Wilkes Booth, le tueur qui l’a abattu, un soir de printemps de 1865, au théâtre Ford à Washington.
Le nom d’Aaron Hart n’est plus inconnu à Trois-Rivières. L’ancêtre, arrivé à Trois-Rivières à la fin du XVIIIe siècle, est considéré comme le fondateur de la communauté juive du Canada. D’abord vivandier pour l’armée britannique, Hart s’est rapidement investi dans le commerce des fourrures. Il devint aussi rapidement un important créancier de la région. Dans le fonds de la famille Hart qui se trouve au séminaire, on peut notamment lire une liste des débiteurs attikameks, qu’on appelait alors « boules », de Hart.
« Voici la liste exacte des Indiens boules qui sont endettés », peut-on lire dans ce document manuscrit. Un homme du nom de Sabitanne doit ainsi 16 castors, 2 loutres et 7 martres. Un autre, du nom de Kiché Nabé, doit 25 castors et 2 loutres. Et le fils de Kiché Nabé doit quant à lui 6 castors.
L’historien Marcel Trudel a estimé la collection de la famille Hart « à environ 100 000 pièces groupées en 3000 chemises », lit-on dans le dictionnaire biographique du Canada. Christian Lalancette extrait de l’une de ses chemises le contrat par lequel Aaron Hart fait l’acquisition d’une esclave du nom de Phoebe. Selon ce contrat, écrit en anglais et signé par le marchand, cette femme, ainsi que ses possessions incluant ses vêtements, est vendue par un marchand de Montréal du nom de James Finley, pour la somme de 45 livres, le 7 septembre 1779. Aaron se portera acquéreur de sept seigneuries dans la région. Au moment de la mort d’Aaron Hart, « pas une paroisse à moins de 50 milles à la ronde ne peut se vanter de ne pas avoir au moins un de ses habitants en dette envers Hart », lit-on encore dans le dictionnaire biographique. Le fils d’Aaron Hart, Ezechiel, qui héritera de la seigneurie de Bécancour, sera le premier député de confession juive élu à la chambre de l’Assemblée du Bas-Canada.
Ces centres d’archives regorgent également d’informations liées à l’histoire locale. Le centre d’archives détient notamment tout le fonds de feu le premier ministre du Québec Maurice Duplessis, qui fut d’ailleurs un élève du séminaire.
Le séminaire de Saint-Joseph abrite également le musée Pierre-Boucher. Fondé en 1895, on l’a d’abord appelé le musée des Antiquités et des Curiosités, puis le musée du Séminaire, et enfin le musée Pierre-Boucher en 1934.