Juste pour rire entend se réinventer

Patrick Rozon n’a jamais songé à changer de patronyme auprès du Directeur de l’état civil après la démission du fondateur de Juste pour rire, son petit-cousin Gilbert Rozon.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Patrick Rozon n’a jamais songé à changer de patronyme auprès du Directeur de l’état civil après la démission du fondateur de Juste pour rire, son petit-cousin Gilbert Rozon.
Le rire retentissant du directeur général et artistique de Zoofest, constamment en conversation avec l’humoriste du moment ou un collègue du showbiz, emplissait chaque soir de juillet le hall d’entrée du Monument-National, transformé pendant trois semaines en quartier général de ce festival et laboratoire comique. Le communiqué de presse acheminé jeudi dernier par Juste pour rire ne jetait personne en bas de sa chaise. C’était écrit dans le ciel que Patrick Rozon, avec son énergie toujours quelque part entre celle de l’animateur de pastorale et du politicien en campagne, deviendrait vice-président aux contenus francophones de Juste pour rire. Voilà chose faite.

Placé à la tête de Zoofest par son petit-cousin Gilbert en 2015, avec comme mission de renouer la confiance envers l’événement d’une relève échaudée par des cachets faméliques, le père de famille de 39 ans et professeur d’art dramatique au secondaire pendant dix ans semble sur papier avoir l’expérience nécessaire pour traverser une crise. Il estime cependant le scandale ayant frappé Juste pour rire, à la suite des allégations visant son fondateur, déjà affaire du passé. « On avait des appréhensions », confie-t-il au lendemain de cette première édition post-#MoiAussi, qui se concluait dimanche. « On se demandait si la marque allait encore être dans le cœur des Québécois et des touristes. Et chaque jour du festival, en voyant les gens au rendez-vous, c’était comme une épée de Damoclès qui s’enlevait d’au-dessus de nos têtes. »

La nouvelle formule carte blanche semble avoir insufflé de l’oxygène à l’air vicié de ces galas — le produit amiral du festival — que de plus en plus d’humoristes, publiquement ou en coulisses, décrivaient comme une usine à saucisses. Devrait-on y voir la conséquence heureuse d’une direction occupée à éteindre des feux ailleurs et laissant donc par le fait même plus de liberté à ses créateurs ?

« En fait, ce n’est pas parce qu’on avait la tête ailleurs. C’est vraiment une décision que le festival a prise de travailler en collégialité avec les artistes et de leur laisser beaucoup plus de marge de manœuvre qu’auparavant. Le modèle du gala traditionnel est un modèle qui a bien marché, mais même avant la crise, Juste pour rire avait entrepris une réflexion et savait que pour perdurer, il devait se mettre en mode réinvention. Le futur de Juste pour rire va ressembler à ça : à plus de travail en commun avec les artistes, autant avec les jeunes qui sont en train de tout changer dans le monde de l’humour, qu’avec les maîtres qui n’ont plus besoin de Juste pour rire, mais qu’on peut aider à réaliser un trip, un fantasme. Je veux emprunter des couleurs à Zoofest et en pitcher sur Juste pour rire. »

Surdose de festivals?

Un peu plus de 72 heures après sa nomination, Patrick Rozon maîtrise déjà l’art périlleux de la réponse prudente et se réjouit d’une « saine compétition » ayant opposé cet été la 36e édition de l’évé­ne­ment dont il prend les rênes et le Grand Montréal comédie fest (GMCF). Le nouveau festival comique, créé dans la foulée de l’affaire Rozon, congestionnait davantage un calendrier déjà généreux en occasions de rigoler. « J’y crois vraiment à cette idée de saine compétition, mais je pense aussi que c’est prioritaire d’avoir une rencontre avec la direction de l’autre festival et de voir ensemble ce qui est le mieux pour l’industrie, les artistes et l’économie des festivals », plai­de celui qui demeure aussi à la tête de Zoofest, un événement appartenant au Groupe Juste pour rire. « Est-ce que le fait d’avoir deux festivals dans le même mois, trois avec le Zoofest, c’est viable ? Est-ce que c’est intéressant pour les festivaliers ? La discussion doit s’amorcer bientôt et ma porte est ouverte. »

Privilégie-t-il un scénario en particulier ? « Non, pas encore. Est-ce qu’on travaille ensemble, est-ce que l’autre festival change ses dates ? Je ne sais pas quoi dire parce que je n’ai pas du tout eu d’écho de leur part. » Dans un courriel transmis au Devoir, l’équipe du GMCF dit ne pas être « fermée à une éventuelle discussion à ce sujet. Toutefois, pour le moment, elle concentre ses énergies à fermer la première édition. »

« La justice va suivre son cours », répète Patrick Rozon à propos des accusations auxquelles fait face le fondateur de Juste pour rire. « Le temps des mononcles est fini », dira-t-il aussi en évoquant à la fois le discours et le comportement des humoristes devant et derrière le rideau. « On a entamé des discussions autour de la prochaine programmation et ça inclut déjà beaucoup de femmes », annonce-t-il. Rappelons que chacun des quatre galas carte blanche de cet été était animé par un homme.

Il s’appelle Rozon, mais n’a jamais songé à entreprendre de démarches pour changer de patronyme auprès du Directeur de l’état civil. « La journée où c’est sorti [et où Gilbert Rozon a démissionné], j’avais d’emblée à peu près une trentaine d’artistes qui m’écrivaient pour me dire qu’ils étaient avec moi. Je n’ai jamais senti que je n’étais qu’un nom de famille, parce que mon parcours est différent et hétéroclite. Lorsqu’on va présenter la prochaine programmation, ce ne sera pas seulement Patrick Rozon qui sera de l’avant, mais toute l’équipe de Juste pour rire. Juste pour rire, ce n’est plus un one man show », jure celui qui, en grand consommateur d’humour, s’y connaît en la matière.

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