Un kilomètre carré de créativité au Quartier des spectacles

Il y a des lieux qu’on traverse sans vraiment les voir. Qu’on vit au rythme des foules, d’un pas pressé, les pensées perdues en avant, vers ce qu’il y a à faire. D’autres qu’on habite, qu’on prend le temps de vivre pour une soirée ou pour toute une vie. Et il y a ceux qui, comme le Quartier des spectacles, en plein coeur de Montréal, sont un peu tout ça à la fois.
Pour une sixième année, le Partenariat du Quartier des spectacles invite les Montréalais — de coeur, d’adoption, de passage — à découvrir, le temps d’une visite guidée, ce quartier emblématique qui fête cette année son 15e anniversaire. Offert jusqu’à l’aube de l’automne, le circuit devrait permettre aux amoureux de la ville et aux simples curieux de poser un regard neuf sur les lieux qui l’habitent.
« Bienvenue dans notre théâtre à ciel ouvert », lance Catherine Messier. Tout sourire, la jeune guide accompagne les visiteurs depuis les touts débuts de l’expérience, il y a maintenant six étés. Formée à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), elle connaît le quartier comme le fond de sa poche, l’ayant elle-même arpenté en long et en large à de maintes reprises.
La visite de deux heures s’amorce au pied de la Maison du jazz, à l’angle de la bouillonnante Sainte-Catherine et de la timide Balmoral. De là, suffit de quelques pas pour être en plein coeur de l’action. Les passants se bousculent, les rythmes jazzés résonnent, se répercutent sur les pavés. La saison (f)estivale bat son plein. « Le Quartier des spectacles, c’est un kilomètre carré de créativité, affirme la guide. C’est plus d’une quarantaine de festivals et 80 lieux de diffusion, dont une trentaine de salles de spectacle. C’est près de 25 % de tous les billets vendus au Québec. Ce sont des millions de visiteurs chaque année. »
C’est d’autant plus frappant qu’il y a une dizaine d’années à peine, presque rien de ce qu’on connaît dans ce secteur aujourd’hui n’existait. Pierre d’assise de cette portion du quartier, la place des Festivals, qui devient, bon an, mal an, le terrain de jeu de centaines de milliers de personnes, a tout juste dix ans. Un peu plus au nord, la promenade des Artistes, qui longe le boulevard De Maisonneuve et où l’on redécouvre chaque année avec plaisir les 21 balançoires, a vu le jour deux ans plus tard.
« Avec le temps, le quartier a beaucoup changé, reconnaît Catherine Messier en embrassant du regard la toute nouvelle esplanade de la Place des Arts, qui vient tout juste d’être inaugurée après deux ans de travaux. L’histoire reste la même, mais chaque année, il y a de nouveaux espaces, de nouveaux projets, de nouveaux détails à découvrir. » Dès l’an prochain, les visiteurs auront d’ailleurs l’occasion d’en voir une autre émerger du sol : l’esplanade Clark, qui devrait être la dernière phase de réaménagement de ce secteur névralgique.
Passé chaud
Au-delà de la scène artistique, le quartier est aussi un lieu bouillonnant d’histoire marqué par un passé rougeoyant. Et c’est encore plus vrai là où se rencontrent l’éclatante Sainte-Catherine et la chaude Saint-Laurent, ancien repaire des maisons de passe et des tavernes illicites. Coeur battant de l’ancien Red Light montréalais, ce secteur porte encore les traces de cette époque.
Avec le temps, le quartier a beaucoup changé. L’histoire reste la même, mais chaque année, il y a de nouveaux espaces, de nouveaux projets, de nouveaux détails à découvrir.
« Le Théâtre du Nouveau Monde existe dans le quartier depuis le début des années 1970, raconte la guide en pointant l’imposant bâtiment de briques rouges. Mais la bâtisse, elle, est centenaire. Elle a entre autres abrité un cabaret de renom durant les années 1920 et a été l’antre de Lili St-Cyr, l’une des effeuilleuses les plus connues de la métropole. »
Tout le long de la Main jusqu’aux abords du Monument-National, et de la rue Sainte-Catherine en passant devant le Metropolis (aujourd’hui MTelus) et les Foufounes électriques, des cercles rouges illuminent les trottoirs. Si ces derniers permettent aujourd’hui de marquer les nombreuses salles de spectacle et autres lieux de diffusion qui pullulent dans le secteur, ils ne sont pas sans rappeler les lanternes qui projetaient une aura rougeâtre à la fenêtre des maisons closes.
La visite se poursuit jusqu’au pied de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en plein coeur des Jardins Gamelin. Sur le chemin, on remarque les Habitations Jeanne-Mance et les nombreuses oeuvres d’art public qui ponctuent les espaces du quartier. On prend une pause à l’ombre du clocher de l’UQAM, on admire les portiques et tourelles du Quartier latin, ancien secteur cossu de la bourgeoisie francophone de la métropole. On croise l’ancienne Cinémathèque — aujourd’hui en démolition —, on jette un coup d’oeil au théâtre Saint-Denis et on s’attarde à la devanture vitrée de la Bibliothèque nationale.
Place Émilie-Gamelin, on prend un temps d’arrêt. Ici aussi, le quartier a bien changé. Avant 2014 — année d’inauguration des Jardins actuels —, le square était peu fréquenté.
Aujourd’hui, une programmation éclatée permet une occupation quotidienne presque à l’année. D’espace moribond, la place a été transformée en un jardin urbain et un espace de jeu aujourd’hui pris d’assaut par les gens du quartier. « C’est ici que ça se termine ! lance en riant Catherine Messier, le sourire toujours accroché aux lèvres, l’oeil brillant sous le soleil de début de soirée. Et ces Jardins sont à l’image du reste du secteur, ils sont devenus un lieu de rencontres. »