«Oblivion»: tous les déchets sont-ils sans retour?

À l’ouverture des portes, la scène de la Cinquième Salle commence à peine à se remplir de bouteilles de plastique, de sachets, de contenants de yogourt. Après les deux heures quinze de la représentation d’Oblivion, la salle contiendra presque l’entièreté des déchets matériels conservés par l’artiste interdisciplinaire Sarah Vanhee durant un an. Pour peu que l’esprit se laisse emballer, elle contiendra aussi le poids du monde. Une délicate performance, un peu égocentrique en apparence, mais s’avérant un geste artistique évocateur, à même de provoquer un profond vertige.
Sans hâte et sans gêne, Vanhee vide une série de boîtes en déposant un à un chacun des objets qu’elle a voulu jeter durant l’année 2014-2015. Elle traite chaque déchet à la fois avec soin et détachement, et en même temps, elle parle un peu. L’artiste belge étale sobrement des bribes d’histoires aussi drôles que touchantes, établit une étiquette de la défécation, témoigne des réflexions qui ont jalonné la collecte de ses déchets. Elle explique qu’elle a conservé ses ordures digitales, des photos de ses déchets périssables, et partage quelques entrées du journal de ses déjections.
En étalant les objets auxquels on en vient étrangement à s’attacher, Vanhee laisse des espaces entre eux, comme pour s’assurer qu’ils ne représentent pas une marée mais composent plutôt une multitude. En se déplaçant sur scène, elle suit les petits chemins qui se forment autour des déchets. Dans sa manière de se raconter, aussi, elle aménage habilement des espaces de silence, invitant ainsi chacun à emprunter les petits chemins de pensée qui lui conviennent.
À un moment, elle esquisse un long générique du spectacle en nommant quelques-unes des nombreuses personnes, idées, citations, réalités et recherches Google ayant contribué à Oblivion, de ses complices de création au mot « rhinocéros », en passant par la mondialisation. Ce faisant, elle active en quelque sorte tout ce qui l’a traversé pour le spectacle et d’une certaine manière, rend perceptibles les réseaux de relation entre toute chose.
Il n’est jamais question de pollution ou de gestion des déchets autrement que sur le plan personnel et pourtant, la pièce tend vers de nécessaires réflexions écologiques pouvant se greffer à de multiples préoccupations. Jamais moralisatrice, la performance donne simplement à voir ce qu’on laisse derrière soi et souligne qu’on en oublie de grands pans systématiquement.
En accordant une importance aux rebuts, l’artiste donne de la visibilité à ce qu’on s’efforce de rendre rapidement invisible. Et pour un instant, elle redonne du poids aux produits et conséquences de nos actes, peu importe leur forme. Ce qu’il faut de doigté pour loger tout cela dans les petits intervalles contenus entre quelques déchets.