Les vestiges du site Cartier-Roberval menacés

Les vestiges de la colonie éphémère fondée à l’embouchure de la rivière Cap-Rouge par l’explorateur Jacques Cartier en 1541 pourraient disparaître, selon un groupe d’experts mandaté par la Commission de la capitale nationale du Québec (CCNQ). Le berceau de la Nouvelle-France est à la merci des marmottes et des intempéries, peut-on lire dans un rapport obtenu par Le Devoir en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
« Si aucune action ou mesure n’est prise, la disparition de ce patrimoine est assurée », écrivent les archéologues Gilles Samson et Richard Fiset dans le document remis à la CCNQ, propriétaire du site, en février dernier. En plus de creuser des tunnels au milieu des vestiges, des marmottes se sont régalées de charbon de bois provenant des restes des pièces de charpente du XVIe siècle. Les ravages causés par les animaux fouisseurs et des facteurs climatiques ont fait disparaître près de douze mètres cubes de sols.
« Aucun autre site archéologique au Québec ou ailleurs en Amérique et même en Europe ne peut suppléer à l’information perdue sur le site Cartier-Roberval, soulignent les cosignataires de l’étude. Toute perte d’information diminue la capacité d’interprétation du site et de sa mise en valeur. Ainsi, chaque perte est irréversible. »
Classement
La ministre de la Culture, Marie Montpetit, a signé un avis de classement du site et de sa collection d’objets le 8 février dernier. « Ce geste n’est pas associé à l’attribution d’une aide financière », explique la porte-parole du ministère, Annie LeGruiec. « Le ministère n’a pas reçu à ce jour de demandes de la CCNQ pour effectuer des interventions supplémentaires sur ce site. »
La Commission rétorque avoir « pris acte des recommandations » du rapport Samson-Fiset. Les scénarios proposés au gouvernement ne peuvent toutefois être révélés, affirme la responsable des communications de la CCNQ, Anne-Marie Gauthier. « La décision pour l’avenir du site archéologique Cartier-Roberval n’est pas encore arrêtée. »
Le promontoire de Cap-Rouge a fait l’objet de fouilles intensives entre 2006 et 2008. Cette phase I réalisée au coût de 8 millions de dollars avait été lancée en grande pompe par le premier ministre Jean Charest. « Le gouvernement du Québec, conscient qu’il s’agit là d’une chance inespérée de jeter de la lumière sur l’un des épisodes fondateurs de la nation, réaffirme aujourd’hui son engagement à être le premier promoteur de l’identité québécoise », avait déclaré le premier ministre.
Les fouilles ont permis de dégager un peu plus de 20 % du site où l’on a récupéré 5000 artefacts. Or, les objets métalliques qui constituent la moitié de la collection sont en « fin de vie ». « Leur temps d’enfouissement a causé des dommages avancés et irrécupérables », notent les archéologues Samson et Fiset, qui évoquent le cas d’une cotte de mailles qui n’a pu être entièrement récupérée. Le taux de corrosion du métal est d’un millimètre par siècle en raison de l’acidité très élevée du sol.
La pollution atmosphérique est également montrée du doigt par les auteurs. Bien que le Québec ait diminué ses émissions de dioxyde de soufre, il demeure exposé aux émissions de son voisin américain, « où les décisions politiques pourraient avoir un effet à la hausse », peut-on lire dans le rapport. Les produits chimiques déversés par les wagons-citernes empruntant le tracel de Cap-Rouge sont aussi évoqués parmi les causes de dégradation. « Il est à espérer que le pont ferroviaire de Cap-Rouge en raison de son emplacement au-dessus d’un site archéologique d’envergure internationale sera considéré comme un risque pour les convois. »
Coyotes
En 2008, les vestiges du site Cartier-Roberval ont été recouverts de caissons de bois et de toiles de géotextile, dont la durée de vie est largement dépassée, selon les archéologues. Elles font désormais office de refuge pour les marmottes qui y passent l’hiver. Une biologiste consultée par la CCNQ signale en outre le passage d’un tamia confortablement logé dans ces structures temporaires et dont les abajoues étaient « remplies de provisions pour l’hiver ». Afin de limiter les dégâts, cette spécialiste a suggéré l’implantation d’une clôture adaptée et la diffusion régulière d’un enregistrement de cris de coyotes la nuit, en prenant soin de prévenir les citadins du voisinage.
Le temps presse, selon Gilles Samson et Richard Fiset, qui proposent notamment de faire appel au privé ou au gouvernement fédéral pour financer la reprise des travaux. En avril 2017, les deux archéologues avaient dénoncé l’abandon du site dans une entrevue au quotidien Le Soleil. « Croire que l’enfouissement protège à long terme les artefacts et les écofacts relève indéniablement d’un manque de connaissance, écrivent-ils dans leur rapport. C’est aussi très peu penser aux générations futures. »