Le miroir royal du pouvoir à l’écran

Un couple déambule dans Windsor affublé de masques à l’effigie des futurs mariés, à quelques jours du mariage royal prévu samedi en la chapelle Saint-Georges du château de Windsor.
Photo: Emilio Morenatti Associated Press Un couple déambule dans Windsor affublé de masques à l’effigie des futurs mariés, à quelques jours du mariage royal prévu samedi en la chapelle Saint-Georges du château de Windsor.

La reine Élisabeth II a 92 ans. La fin de son règne approche. Mais pas celui de la monarchie. En témoigne le faste avec lequel toutes les télévisions du monde promettent de rendre compte du mariage du prince Harry, pourtant sixième seulement dans l’ordre de succession au trône britannique.

Le 19 mai, le mariage du prince avec l’Américaine Meghan Markle à la chapelle Saint-Georges du château de Windsor est retransmis en direct par la télévision française TV5. Décalage horaire oblige, il l’est aussi dès le petit matin par CTV, CBC et Global. L’événement est en outre à l’affiche de la programmation de tous les grands réseaux américains, y compris PBS.

La télévision d’État du Canada propose quant à elle une couverture de l’événement dès 6 h à RDI. Céline Galipeau, chef d’antenne, sera en service. Puis, comme si cela ne suffisait pas, Radio-Canada rediffuse la cérémonie dès 15 h. Et je ne parle pas des émissions spéciales consacrées à cette union : ce serait trop.

Vieille tradition

 

Cette tradition d’une surattention accordée aux épousailles royales ne date pas d’hier. Le 20 novembre 1947, Élisabeth II et Philippe se marient à l’abbaye de Westminster. Ils sont couverts de présents, arrivés du monde entier. Comme dans chacun des événements du genre, les symboles et les apparences comptent plus que tout.

La future reine souhaite qu’on utilise des coupons de rationnement pour acheter les mètres de tissu nécessaire à la confection de la robe dessinée par un couturier, sans voir bien entendu de contradiction entre les deux. Les origines du nouveau duc d’Édimbourg sont maquillées pour faire bonne figure : ses proches parents liés à l’Allemagne hitlérienne ne sont pas invités et on le gratifie en vitesse de titres royaux.

Du côté d’Élisabeth, on ne convie pas non plus l’ancien roi Édouard VIII. L’image de ce dernier est compromise pour des raisons politiques. L’homme est connu en effet pour être peu sensible aux conventions et pour avoir flirté avec les théories nazies autant qu’avec Wallis Simpson, une Américaine mariée deux fois pour laquelle il a abdiqué.

En d’autres termes, à l’occasion d’un mariage royal, c’est tout le pouvoir qui se met en scène.

Selon CBC, le mariage du prince Harry et de Meghan Markle est censé illustrer à quel point « la monarchie est devenue moderne ». En vertu de quoi ? Il faudrait noter, semble-t-il, que Meghan est plus vieille qu’Harry, qu’elle a été précédemment mariée et qu’elle est « biraciale », sachant qu’on trouve dans sa généalogie de roturière des ancêtres noirs. Sans compter que le prince Harry est connu de son côté pour être un peu mauvais garçon. Ce jeune homme a de l’esprit, mais pas toujours de cervelle : c’est lui qui, pour rigoler, s’était déguisé en officier nazi…

Transmission

 

En quoi ce mariage peut-il vraiment constituer un signe de modernisation ? Qu’est-ce qui a changé ? Fort peu de choses en vérité. Hier comme aujourd’hui, cette représentation publique des époux royaux a pour première fonction de baliser et de flatter la représentation de leur autorité.

Rien d’étonnant en somme à ce que les formes de pareil événement varient peu. Si la royauté préfère désormais le gâteau de mariage au citron plutôt qu’aux fruits, cela change-t-il vraiment quelque chose de profond ?

Machiavel disait : « Gouverner, c’est faire croire. » Ici, il s’agit de faire croire à la transmission du pouvoir.

Aussi ces événements éclairés par de puissants projecteurs médiatiques deviennent-ils des passeports grâce auxquels un pouvoir ancien continue d’avancer et de se perpétuer sans entrave. Il n’y a pas que la famille royale britannique qui l’ait compris. Chez des personnages aussi différents que Louis XIV, Henri IV ou encore Napoléon Bonaparte, on pourrait analyser de la même façon ce rôle de légitimation du pouvoir qui passe par de grandes cérémonies.

Hier comme aujourd’hui, les cérémonies constituent des courroies de transmission de l’ordre qu’elles réaffirment. En un mot, ce sont des instruments de propagande.

Le mariage est l’une des principales cérémonies sur lesquelles s’assoie le pouvoir monarchique. Il confirme le pouvoir héréditaire, son autorité, sa place sociale, sa fiction. Un tel mariage invite tout un chacun à se situer en fonction de cette autorité ravivée par ces jeux de miroir qui s’emploient à faire briller le pouvoir de tous les côtés.

Devant le mariage de Meghan Markle et du prince Harry, la télévision perpétue tout bonnement l’idée déjà affirmée par la salle des glaces du palais de Versailles : il s’agit de divertir pour mieux rappeler qui gouverne.

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