«Rêve»: la première expérience de réalité virtuelle du musicien Philippe Lambert

Du côté de l’image, Philippe Lambert a travaillé avec son petit frère Vincent ainsi qu’avec les artistes Caroline Robert et Édouard Lanctôt-Benoit.
Photo: Office national du film du Canada Du côté de l’image, Philippe Lambert a travaillé avec son petit frère Vincent ainsi qu’avec les artistes Caroline Robert et Édouard Lanctôt-Benoit.

Après avoir fait partie de l’équipe de création de l’installation Journal d’une insomnie collective, présentée en 2013 avec l’ONF, voilà que le musicien Philippe Lambert a trouvé le sommeil. Son premier projet de réalité virtuelle, Rêve, prend vie ce mardi pendant le forum de création numérique MUTEK_IMG.

Mais le rêve est éveillé, simulé, coloré et musical, et c’est l’usager de la création de Lambert qui le fait évoluer. Il n’en est pas moins un moment de décrochage de la réalité, entre la méditation et le voyage spatial.

Ayant atteint la quarantaine il y a quelques années, Philippe Lambert, les cheveux argentés et les doigts tatoués, raconte qu’il a eu son moment de déprime en regardant le monde actuel. Et l’idée du rêve lui a paru essentielle pour nourrir l’avenir, le sien et le nôtre collectivement.

Hugues Sweeney, producteur exécutif à l’ONF, a été séduit par le sujet dès la naissance du projet il y a quatre ans, dont la première expression s’est déroulée en 2016 à Berlin.

« Aujourd’hui, le rêve existe seulement quand on dort et, quand on est à l’état éveillé, il est relégué à la nuit suivante, illustre Sweeney. Alors qu’historiquement, le rêve a occupé une grande place dans les décisions géopolitiques économiques, sociales… Je trouvais ça intéressant de revenir avec ce sujet-là dans une démarche purement artistique, mais avec une réflexion sociale derrière. »

Fréquences modulées

 

Si Rêve peut être expérimenté en version Web sur son ordinateur personnel au onf.ca/reve, c’est au Centre Phi en réalité virtuelle que la plongée onirique est à son summum. Casque sur la tête, lunettes sur les yeux et manette en main, l’utilisateur vivra pendant une dizaine de minutes une expérience dont il est en partie le héros.

Au départ, « tu vois des taches, tu es encore connecté avec le monde réel », raconte Philippe Lambert. Puis la plongée s’approfondit. L’utilisateur passif vivra un rêve plus tranquille, alors que celui qui manie plus hardiment sa manette fera varier les images et alimentera la trame sonore synthétique de l’oeuvre.

« Dans mes premières intuitions, j’imaginais les rêves comme des espèces de radios dans l’éther, où on pouvait scanner, raconte Lambert. Tous les processus visuels sont basés sur des images qui peuvent être transformées en d’autres choses, avec tous les états entre les deux points. C’est du morphing, en fait. »

C’est lui-même qui a composé la structure musicale. Du côté de l’image, Lambert a travaillé avec son petit frère Vincent ainsi qu’avec Caroline Robert et Édouard Lanctôt-Benoit, deux artistes ayant participé à plusieurs projets visuels du groupe Arcade Fire.

Dans la nature

 

La sensibilité de Lambert sur les changements climatiques se révèle en partie dans Rêve, où apparaissent certaines formes animales et végétales — champignons, fleurs, tortues. L’oeuvre parfois très abstraite s’est aussi nourrie de dessins et de formes concrètes réalisés en 2016 par des spectateurs présents à la diffusion de Rêve au Festival international du film documentaire d’Amsterdam.

« Ce n’est pas une oeuvre complètement abstraite, mais le fil narratif est mince, et c’est voulu, explique Philippe Lambert. Je voulais offrir plus de liberté, que les gens puissent projeter leur propre compréhension de ce qui se passe plutôt que de tout montrer directement. »

Pour vivre Rêve, le spectateur s’installe dans un coussin permettant d’être incliné sans être couché. Confort optimal pour oublier le réel, quoi.

Philippe Lambert voit dans Rêve une « petite bulle de dix minutes » où on peut oublier nos soucis, et qui nourrit après coup notre rapport à la réalité.

« J’aime beaucoup le moment où on sort de la réalité virtuelle, le moment quand on enlève le casque et qu’on se réadapte à la réalité. » Comme quoi le rêve permet l’éveil, et l’éveil, le rêve.

Briser le cloisonnement à MUTEK_IMG

Depuis quatre ans, le festival de création numérique MUTEK a créé son volet MUTEK_IMG, moins axé sur la diffusion mais plus sur la réflexion. La création Rêve, de l’ONF, est d’ailleurs présentée pendant le forum de création numérique qui débute ce mardi et se poursuivra jusqu’à vendredi. « L’idée, c’est de se consacrer un peu plus au contenu, et de faire se rencontrer différents créateurs, explique Alain Mongeau, fondateur et directeur artistique de MUTEK. Il y a plein de gens qui sont concentrés sur leur art, et on veut casser les silos. Et faire en sorte qu’il y ait de la pollinisation croisée, si on peut dire ! » L’événement accueille par exemple cette année un échange entre l’Allemagne et le Canada sur la réalité virtuelle.

Rêve

Une création de Philippe Lambert. Au Centre Phi, à Montréal, du 10 au 13 avril, dans le cadre de MUTEK_IMG.



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