L'Américaine qui aurait inspiré «Rosie la riveteuse» meurt à l'âge de 96 ans

Le but de cette affiche réalisée en 1943 était de motiver l’ardeur au travail des ouvrières de l’usine Westinghouse Electric en temps de guerre.
Illustration: Archives nationales américaines / Agence France-Presse Le but de cette affiche réalisée en 1943 était de motiver l’ardeur au travail des ouvrières de l’usine Westinghouse Electric en temps de guerre.

Décédée samedi à l’âge de 96 ans, Naomi Parker Fraley, ouvrière durant la Seconde Guerre mondiale, avait indirectement servi de modèle pour une célèbre affiche de propagande. Datée de 1943, l’illustration connue aujourd’hui du monde entier est signée par John Howard Miller. Elle présente « Rosie the Riveter », une femme à l’air grave et déterminé, coiffée d’un fichu rouge et vêtue d’un bleu de travail, le biceps de son bras droit tendu, à l’avant-plan. Sur fond jaune, l’affiche clame « We Can Do It ! » (« On peut le faire ! »).

L’objectif de l’affiche était simple : motiver l’ardeur au travail des ouvrières de l’usine Westinghouse Electric en temps de guerre. Les hommes partis au front, engagés dans les rangs de l’armée, les usines doivent se tourner vers les femmes, ce qui contribue à des changements accélérés dans les mentalités. Entre 1940 et 1944, la part des femmes dans l’industrie de guerre augmente de 57 %.

À compter des années 1980, les reprises actualisées de cette affiche de propagande sont devenues innombrables, souvent à des fins liées à des actions féministes. Le Devoir avait par exemple diffusé à la une de son numéro daté du 7 mars 2015 une image directement inspirée par cette représentation d’une femme engagée et maître de son destin.

Une photographie

 

Mais qui était l’égérie du jeune illustrateur de Pittsburgh pour la création de cette célèbre affiche ? Si la seule existence d’une oeuvre résulte de la création de l’artiste qui lui donne forme et vie, la question de l’identité du modèle pour cette affiche a longtemps soulevé des questions. Pour répondre à sa commande, il est en effet supposé que l’illustrateur s’était appuyé sur une photographie d’une agence de presse, la United Press.

Aussi a-t-on longtemps cru que l’affiche dérivait d’une photographie qui présente apparemment Geraldine Doyle, 17 ans, devant une presse hydraulique. En 1994, Doyle affirma s’être reconnue tant sur la photo d’époque que sur l’affiche. Elle reçut beaucoup d’attention médiatique à la suite de cette association du dessin avec son image personnelle.

Seulement la photo s’avéra finalement être celle de Naomi Parker, laquelle affirma s’y reconnaître en 2011, à l’occasion d’une visite au parc commémoratif Rosie the Riveter, situé en Californie. En 2015, on détermina que Doyle était encore à l’école au moment où la photo fut prise. Il s’agissait donc plutôt de Naomi Parker, 20 ans au moment où elle fut photographiée.

Ce débat sur l’identité des gens photographiés n’est pas sans faire songer à celui de savoir qui figurait sur la célèbre photographie de Robert Doisneau intitulée Le baiser de l’hôtel de ville, une image elle aussi devenue iconique au cours des années 1980 et qui fait l’objet de querelles.

Identité multiple

 

Durant la guerre, le nom de Rosie constitue un nom générique, une sorte de pendant féminin à l’usage du prénom Joe. En ces temps troublés, « Rosie la riveteuse » est une appellation qui renvoie à plusieurs productions culturelles dans un esprit guerrier. Une chanson patriotique, vouée à favoriser l’effort industriel, parle ainsi de Rosie la riveteuse. La chanson, qui connaît un grand succès, s’inspire de l’image de Rosalind P. Walter, une jeune femme de Long Island qui travaille alors sur une ligne d’assemblage des avions de chasse F4U Corsair utilisés dans la guerre du Pacifique. La chanson écrite par Redd Evans et John Jacob Loeb connaît un grand succès populaire.

L’illustrateur Norman Rockwell, déjà très célèbre, propose lui aussi sa version de Rosie la riveteuse pour le compte du Saturday Evening Post. Très musclée, bien en chair, elle tient un sandwich dans la main, son marteau hydraulique posé sur ses cuisses protégées par une salopette de jeans, les pieds posés sur un exemplaire du Mein Kampf d’Hitler. Cette représentation féminisée de la force et de la puissance de l’industrie américaine est comme de raison plaquée sur un patriotisme symbolisé par le drapeau américain.

Devenue iconique, l’illustration de 1943 n’a servi à l’époque de sa production qu’à l’intérieur de l’usine de la Westinghouse. Elle n’a pas été imprimée à plus de 2000 exemplaires. Après sa redécouverte en 1982, elle a beaucoup été utilisée dans des campagnes pour faire la promotion du féminisme.

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