Coup d'oeil sur vos bibliothèques

Peu de lecteurs ont dit avoir une pièce consacrée exclusivement à la lecture. C’est pourtant bien le cas de Nicole René.
Photo: Nicole René Peu de lecteurs ont dit avoir une pièce consacrée exclusivement à la lecture. C’est pourtant bien le cas de Nicole René.

Les lecteurs du Devoir ont été nombreux à répondre à l’appel de la série d’articles sur les bibliothèques personnelles. Plus d’une centaine ont partagé, par courriel ou par le truchement des réseaux sociaux, une photo de leur bibliothèque. De la petite pile de livres sur le coin du bureau à la grande pièce, de l’étagère Billy d’IKEA aux rayons sur mesure, de la philosophie aux albums pour enfants, les déclinaisons sont aussi nombreuses que les profils de lecteurs. Et c’est une petite fenêtre sur leur identité qui est ainsi ouverte.

« Notre bibliothèque est tentaculaire, écrit Louise Corriveau, tant dans l’espace que dans le temps. Souvenirs d’enfance et d’adolescence où la boulimie de lecture nous valut quelques remontrances, souvenirs d’étudiants et de lectures imposées ou interdites, souvenirs d’adultes où le jumelage de nos bibliothèques respectives oblige à l’élagage des doublons pour économiser l’espace et recevoir avec bonheur les nouveaux arrivés. Les grands classiques au salon, les livres de cuisine dans la chambre d’amis et le sous-sol assez chargé pour nous faire un abri antinucléaire ou presque, tout cela contient la somme de nos deux vies en lecture. En sommes-nous fiers ? Nous la regardons avec un regard critique, mais tendre et compréhensif, comme si c’était un membre de la famille. Puisque c’est un membre de la famille. »

La plupart des bibliothèques des lecteurs du Devoir apparaissent, quand on les examine, scindées. Les livres sont le plus souvent répartis dans différents meubles et diverses pièces, essaimant l’idée de la lecture au coeur des activités quotidiennes, disponible à tout moment. Cette idée revient aussi dans les bibliothèques pour enfants, toujours très accessibles spatialement. Chez Annic Gingras, la lecture, une heure chaque soir, est une part imposée de la routine familiale obligatoire. « Famille reconstituée, mon conjoint s’est facilement laissé entraîner » à suivre cette habitude, qui explique, selon Mme Gingras, l’amour de la lecture et des romans qu’a déjà, à 12 ans, son fils.

Les animaux domestiques, et tout particulièrement les chats, semblent avoir leurs entrées particulières dans les bibliothèques personnelles. Celle de Robert Poirier comprend ainsi un coussin, afin que sa chatte Capucine puisse y somnoler.

 

Seuls quelques rares lecteurs consacrent une pièce entière uniquement à leur bibliothèque et à la lecture.

Des histoires de famille

 

« Depuis que ma grand-mère m’a lu le journal, alors que j’étais assis à côté d’elle, j’ai toujours été un lecteur assidu », révèle Pierre Corbeil, qui s’identifie au « lecteur professionnel ». « Néanmoins, je lis beaucoup par plaisir, de l’histoire, bien sûr, mais aussi des romans policiers et des romans de science-fiction, surtout de voyages dans le temps et d’uchronies. Cependant, ma bibliothèque est mon lieu de travail et mon refuge, où on ne tient pas l’heure avancée. »

D’autres se dévoilent. « Posséder un livre est un plaisir aussi grand que celui de le lire », témoigne André Senécal. « J’entretiens, dit-on, un rapport érotique à ma bibliothèque, écrit de son côté Jade Bourdages. L’hospitalité y est le mot d’ordre, bien que n’entre pas qui veut dans celle-ci. Rapport érotique aux textes qui débute seulement avec le romantisme allemand jusqu’à nos jours (Platon ne me charme guère par exemple). Essentiellement de la philosophie, de la littérature, de l’anthropologie. Dans la maison, beaucoup de littérature jeunesse également. Celui qui trône sur tout : Walter Benjamin, collectionneur, chiffonnier, flâneur… Dernière recension des titres dans une grille Excel (en 2011) : 4378 (avec la littérature jeunesse). »

« Je suis arrivé au Québec en 2014, à cause d’une mutation militaire, j’ai appris le français et dans la foulée je suis tombé amoureux de la littérature québécoise », raconte de son côté Stephan Wagner, qui a donc ajouté en 2015 à sa collection un versant québécois, où il conserve Menaud, maître-draveur, Regards et jeux dans l’espace et des éditions originales des Îles de la nuit, du Tombeau des rois et de Bonheur d’occasion.

Plusieurs bibliophiles témoignent de la difficulté d’élaguer, ou de faire élaguer par les enfants les livres qui sont devenus trop aisés pour eux. Et certains s’inquiètent de l’avenir de leurs livres. « La question, souligne Émile Martel, propriétaire avec sa femme d’une bibliothèque de plusieurs milliers de volumes, est maintenant de savoir comment me défaire de tout ça. Enfin, de presque tout ça. »

« J’ai hérité de la collection de bandes dessinées de ma mère, pas parce qu’elle est décédée, mais parce qu’elle est minée par l’encéphalomyélite myalgique et qu’elle a dû vendre son condo pour aménager dans un plus petit espace », narre Charli. « Le pire, pour elle, n’a pas été de laisser aller son trésor — elle savait qu’elle pouvait le revoir chez moi n’importe quand —, mais de se mettre dans la tête qu’elle ne pouvait plus passer ses journées à L’Échange », cette boutique de livres d’occasion.



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