Mon château pour 50 euros

Le très neuf peut aider à refaire du très vieux. Début octobre, la plateforme de sociofinancement Dartagnans, aidée de l’association Adopte un château, se donnait 80 jours pour collecter 500 000 euros (750 000 $) et lancer l’achat puis la restauration du château de La Mothe-Chandeniers, dans le département de la Vienne, entre Paris et Larochelle. Ses fondations remontent au XIIIe siècle.
Le château féerique agonise depuis l’incendie de 1932 qui lui a dévoré les entrailles, le toit, les planchers, mais aussi les meubles, des tapisseries, des tableaux et une exceptionnelle bibliothèque de livres rares. La nature a repris ses droits sur la carcasse de pierre. Des arbres poussent au coeur de la noble structure crénelée, ceinturée de douves verdâtres. La Mothe-Chandeniers fait maintenant songer au château de La Belle au bois dormant.
L’objectif de la campagne de financement a été facilement atteint au début du mois. Il devrait dépasser le million d’euros ce week-end, soit plus de 1,5 million de dollars de dons, petits et grands, fournis par quelque 12 000 généreux internautes du monde entier, les reportages stimulant les souris et la carte de crédit. La collecte de fonds 2.0 pour le monument vedette s’arrête dans 16 jours, à la Noël.
Le slogan bien tourné (« Devenez châtelain pour 50 euros ») soutient et résume l’opération probablement unique au monde proposant le plan d’achat collectif d’un monument à ressusciter. Il faut en fait promettre de rajouter un euro à son don minimum de 50, en fin de collecte, pour la formation d’une société par actions de copropriétaires. La moyenne des contributions dépasse à peine ce seuil d’entrée (80 $). La mer monte pour une pierre qu’on y jette.
Un amour de patrimoine
« Nous sommes partis du constat que les Français aiment leurs monuments, mais qu’il n’existait pas de moyens simples et ludiques de tester leur attachement en faisant des dons pour les préserver », explique Romain Delaume, président et cofondateur de la plateforme il y a trois ans. « On dit Dartagnans, comme le mousquetaire d’Artagnan, et on a mis un S à la fin parce qu’on veut que tous soient des mousquetaires du patrimoine avec nous. »
La bonne idée de M. Delaume et de sa petite équipe (l’agence compte quatre employés) est d’appliquer au patrimoine, mais aussi aux arts et à la culture, la pratique de financement collectif qui a fait ses preuves dans une foule d’autres domaines. L’entreprise est née en septembre 2015. Elle se finance elle-même avec un pourcentage de l’argent récolté, comme le veut le modèle du mécénat et de l’investissement participatif.
« Notre arme, ce n’est pas l’épée comme pour d’Artagnan : notre arme, c’est le téléphone portable, Internet et les réseaux sociaux, poursuit M. Delaume. On arrive à faire connaître de petits lieux et à aider des projets de tous genres. » Il cite l’exemple d’un sinon du plus vieux manège de chevaux de bois de France que Dartagnans a aidé à restaurer avec deux campagnes qui ont rapporté deux fois 20 000 euros chacune.
Public et privé
Les « vieux pays » débordent de monuments en péril. L’État français intervient beaucoup en ce domaine comme en tout autre, par exemple en entretenant les quelque 70 cathédrales du pays classées monuments historiques. Seulement, le système public ne peut tout faire et ne peut même plus continuer à faire ce qu’il fait, explique Julien Marquis, responsable de la gestion de l’association Adopte un château, partenaire dans le sauvetage de La Mothe-Chandeniers.
« L’État a suffi pendant des années en fournissant 70 ou 80 % de l’argent nécessaire aux restaurations des monuments historiques, dit-il. Cet argent a maintenant fondu de moitié, dans le meilleur des cas. Résultats : les propriétaires, privés ou publics, n’arrivent plus. Il y a actuellement plus de 1000 châteaux à vendre en France. Il y a un vrai problème de modèle économique dans ce secteur. »
Les appels lancés sur les plateformes patrimoniales ratissent large, y compris vers les expos et les festivals, par exemple pour l’organisation de projections thématiques ou de concert. Les châteaux et les édifices religieux confirment tout de même leur position dominante dans cette nébuleuse des lieux de mémoire avec 40 projets financés et 10 en cours sur dartagnans.fr, soit plus que les huit autres catégories réunies (parcs et jardins, musées, etc.).
Sur adopteunchâteau.com, la forteresse médiévale circulaire de Meauce, en Bourgogne–Franche-Comté, demandait 12 100 euros et les a obtenus. Il reste 22 jours pour contribuer à restaurer les planchers, les charpentes et la couverture de la partie sud. Le chantier mobilise des dizaines de bénévoles et une vingtaine de compagnons, ouvriers, maçons, charpentiers ou couvreurs. Meauce a même sa page Facebook et 17 000 abonnés.
Julien Marquis ajoute que l’argent permet de sauver des lieux et des objets, qu’il s’agit ensuite de faire vivre, ce à quoi s’attelle son organisme. Adopte un château, fondé il y a deux ans comme Dartagnans, fonctionne comme OSBL et ne rassemble que des bénévoles.
« Pour aider le patrimoine, pour le pérenniser, il faut lui redonner un but, dit M. Marquis. Une fois restauré, il faut trouver des projets innovants pour créer des emplois et faire du développement local. Pendant des années, pendant un siècle, l’État a donné des subventions pour restaurer en oubliant qu’il fallait aussi remettre de la vie et des activités économiques dans ces monuments. »
Le coordonnateur donne l’exemple du château de Montfa, près de Castres, en pays albigeois, ancienne résidence des comtes de Toulouse-Lautrec. Adopte un château accompagne le récent propriétaire, qui veut transformer la restauration en chantier-école du patrimoine. Un autre projet propose d’installer un incubateur de start-ups dans un manoir. « Pour nous, le patrimoine c’est un support pour une multitude d’activités et pas seulement des hôtels de luxe », dit le coordonnateur.
L’avenir de La Mothe
Et pour le château de la Vienne ? La promesse de vente a été signée cet automne par le propriétaire octogénaire. Les parties passeront chez le notaire début 2018. La société par actions distribuera alors ses premières clés symboliques du château de La Mothe-Chandeniers.
Le premier palier (au demi-million) largement dépassé permet l’achat du monument, de ses dépendances et d’une partie du terrain. Avec 150 000 euros de plus, le projet peut lancer la phase suivante qui prévoit le déblaiement, une étude architecturale et divers services juridiques. Les premiers travaux de sécurisation seront réalisés avec encore 100 000 euros déjà en poche. Le magot accumulé assure le début de la restauration proprement dite des extraordinaires ruines aussi envoûtantes qu’inquiétantes.
« Nous qui essayons souvent de trouver des projets assez innovants, pour La Mothe-Chandeniers, force est de constater que le site se suffit à lui-même, conclut Julien Marquis. On aura un développement touristique en misant sur son attractivité presque universelle. On montrera aux gens comment une ruine peut évoluer à l’heure du patrimoine 2.0. »