Fictions de cauchemar, les dystopies se conjuguent à toutes les sauces

Dans un éditorial publié par le New York Times, la Canadienne Margaret Atwood estimait qu’elle voyait son roman «La servante écarlate» comme une «anti-prédiction».
Photo: Alberto E. Rodriguez / Getty Images North America / Agence France-Presse Dans un éditorial publié par le New York Times, la Canadienne Margaret Atwood estimait qu’elle voyait son roman «La servante écarlate» comme une «anti-prédiction».

Paris — Les ventes de 1984 s’envolent, et La servante écarlate, en lice pour les Emmy awards, cartonne. Ces fictions, qui imaginent le pire dans un univers proche du nôtre, explosent. Reflet d’une société angoissée ou nouvelle façon de s’évader ?

En France, l’enseigne culturelle Fnac a justement proposé une sélection de romans et de DVD sur le thème « quand l’utopie vire au cauchemar ». Figuraient notamment Soleil vert (sur l’épuisement des ressources naturelles) pour la partie cinéma et Le meilleur des mondes (sur le clonage et la génétique) en littérature.

Contraire de l’utopie, la dystopie s’est « démocratisée en touchant un nouveau public », plus adulte et pas forcément admirateur de science-fiction, estime Nicolas Gaudemet, directeur du pôle culture à la Fnac.

D’autant plus qu’elle irrigue de nombreux genres et a aussi conquis la littérature classique, comme l’atteste le nombre de romans étiquetés dystopiques en cette rentrée littéraire, du Notre vie dans les forêts de Marie Darieussecq au prochain polar du sud-africain Deon Meyer, L’Année du lion.

Un engouement qui a démarré il y a plusieurs années grâce aux young adults (les jeunes adultes, de 12 à 30 ans) et aux sagas Hunger Games ou Divergente, qui dépeignent des univers liberticides et ont ensuite été portées à l’écran.

Entre temps, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, ses attaques contre les médias et sa défense de « faits alternatifs » a amplifié le phénomène, offrant une incroyable publicité à 1984, le classique de George Orwell dénonçant le totalitarisme et introduisant le personnage de « Big brother ».

« Il y a une anxiété face à des phénomènes (politiques, écologiques, sociétaux) de plus en plus inattendus qui ont l’air de donner encore plus raison à la fiction », explique Valérie Stiénon, maître de conférences en littérature française à Paris-XIII.

La dystopie est « un outil très utilisé aujourd’hui pour mettre en forme nos craintes », constate l’universitaire.

Car « ce qui advient est de l’ordre du possible, ou pourra l’être dans quelques années », contrairement à un univers comme le fantasy, peuplé de créatures imaginaires, souligne Anne Prescott, qui enseigne au Barnard College à New York.

Faut-il y voir le signe d’une époque particulièrement sombre ?

« Les dystopies fonctionnent en décrivant des sociétés extrêmes, en désintégration, sans ouverture, ni espoir. Il est rare de trouver des sociétés entières dans cette situation », souligne James Berger, professeur associé à Yale.

Si la dystopie est prisée, c’est souvent pour sa capacité à avertir voire à prévoir, et non parce qu’elle se rapproche de l’actualité. D’ailleurs, argumente M. Berger, « dans les années 50-60, la grande peur était celle d’une guerre nucléaire. Malgré de nombreux films sur le sujet, il y a eu très peu de dystopies » post-apocalyptiques.

Dans un éditorial publié par le New York Times début mars, la Canadienne Margaret Atwood estimait qu’elle voyait plutôt son roman La servante écarlate comme une « anti-prédiction : si ce futur peut être décrit en détail, peut-être qu’il n’arrivera pas ».

Datant de 1985, le roman, récemment transposé en série à succès, décrit une société où les femmes fertiles sont réduites en esclavage et condamnées à procréer.

Pour Pamela Bedore, elle aussi spécialiste de la dystopie dans le Connecticut, lire ou regarder ce genre de fiction est avant tout « stimulant et addictif » avec un phénomène d’identification à un personnage qui tente de changer les choses.

C’est « aussi une manière d’agir, et pas seulement une réaction fataliste à des peurs », renchérit Valérie Stiénon, qui y voit un équivalent du roman d’aventure du XIXe siècle. « On met en avant des victimes qui s’en sortent, qui persistent ou qui résistent ».

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