Une kermesse et des mots pour une nouvelle maison littéraire

Il y a un an, la médiathèque Gaëtan Dostie et le collectif La Passe étaient contraints de quitter leurs locaux du centre-ville pour trouver maison ailleurs. C’est maintenant chose faite, et en plein Plateau Mont-Royal, lieu symbolique s’il en est dans l’histoire de la littérature québécoise. Pour inaugurer ce nouveau lieu, une kermesse littéraire en plein air prévoit des mots, bien des mots, jusqu’à dimanche — une façon de raviver la parole d’ici.
Dans le sous-sol de l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End, des cartons restent encore à défaire. Les quelque 50 000 imprimés et 1200 oeuvres encadrées de la médiathèque Gaëtan Dostie reposent sur des étagères, parfois encore emballés, dans une pièce dont son propriétaire ouvre la porte comme on ouvrirait un coffre au trésor. Une partie de ce patrimoine littéraire québécois, amassé depuis les années 1960 par le poète, essayiste et collectionneur, sera exposée, lue, partagée à l’occasion du premier événement public organisé depuis le déménagement de la médiathèque, en mars.
Après les remous des derniers mois, cette réinstallation appelait à une célébration de plus grande envergure — d’où une kermesse littéraire sur trois jours, une salutation au quartier qu’accueillera le parc Lahaie adjacent à l’église de même qu’une partie des nouveaux locaux. « Ce qui est important, c’est qu’on puisse se réapproprier ce lieu en matière de culture et que la société autour puisse se le réapproprier aussi », lance Gaëtan Dostie, assis à la longue table du petit bureau désormais occupé par le collectif La Passe. Le poète ne manque pas d’idées pour « redonner vie » au bâtiment religieux patrimonial aujourd’hui peu fréquenté, construit en 1858 en plein coeur du quartier qui connaîtra, plus tard, une vie littéraire effervescente.
« La plupart des auteurs qui font partie de la collection de Gaëtan ont vécu ici ou y ont passé une partie de leur vie », glisse Hubert Gendron-Blais, membre de La Passe. Pensons au square Saint-Louis d’Émile Nelligan, où Dany Laferrière écrira son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, ou au Plateau de Michel Tremblay, ou même au presbytère de l’église Saint-Enfant-Jésus, où Lionel Groulx avait sa chambre au temps de la revue L’Action française.
Autant de voix incontournables que la kermesse est l’occasion de dépoussiérer, qu’elles soient anciennes ou plus contemporaines. « C’est un peu un élargissement de notre mission : faire vivre la littérature, mais pas seulement sur le plan métaphorique, nuance Hubert Gendron-Blais. Qu’elle soit dans l’espace public. »
S’il y a eu d’autres éditions de la kermesse littéraire dans le passé, cette année est une année charnière, ne serait-ce qu’en raison d’un financement obtenu par un programme de l’arrondissement qui permet, pour la première fois, de rémunérer les artistes. L’ordre du jour est costaud : des concerts, des conférences, des ateliers de création littéraire et de sérigraphie, des kiosques d’éditeurs, un « moulin à paroles » entretenu par 25 auteurs, une projection du film Gaston Miron, un homme revenu d’en dehors du monde (Simon Beaulieu) et des lectures de membres de l’Académie des lettres sur le parvis de l’église seront livrés au grand public. Un public qui pourra d’ailleurs lire, si le coeur lui en dit, des poèmes, de la prose et des chansons au micro-ouvert, samedi.
En parallèle à cette parole vive, une immuable : l’exposition itinérante Refus, dissidence et renouveau : une incursion dans la médiathèque littéraire de Gaëtan Dostie, montée par des étudiants du collège Montmorency en avril dernier. En 102 artéfacts, cette rétrospective rappelle l’époque de Refus global, publié en 1948 — ce qu’il a changé dans la société québécoise, ce qu’il dénonçait, ce que sa publication a aussi libéré comme parole, rappelle Gaëtan Dostie.
« Ça va de la chaise berceuse de Gaston Miron au premier imprimé littéraire de Montréal en 1830, jusqu’à des choses presque felquistes et d’autres tout à fait contemporaines », énumère le poète.Il y a même un exemplaire de Refus global ayant appartenu à Claude Gauvreau, une pièce majeure. À terme, espère Gaëtan Dostie, cette sélection pourra voyager dans d’autres établissements.
L’art est aussi politique
Et pour la suite ? En déménageant, La Passe et la médiathèque ont aussi uni leurs forces avec d’autres collectifs, dont la coopérative d’artistes Coup d’Griffe, coorganisatrice de la kermesse, devenue leur colocataire. Des soirées de création, des expositions, des événements transdisciplinaires tenus en collaboration avec des « collectifs amis » sont sur la table à dessin, dans l’idée de ramener sur place, dans le vaste espace au sous-sol de l’église, une expression artistique plurielle.
« Il y a une myriade de petites publications qui passent inaperçues, qui ne cessent d’être produites, surtout depuis 2012 » et la grève de 2015, note Philippe Blouin, coordonnateur de la kermesse et membre de La Passe. « Culturellement, il y a vraiment eu une convergence vers des idéaux, vers des manières de faire. On a vu l’évolution, renchérit Philippe Gaumond, sérigraphe et membre fondateur de Coup d’Griffe. Des techniques traditionnelles sont réapparues. Ça a soudé des liens entre différentes personnes. »
Dans les mouvements de contestation qui traversent actuellement l’Occident, Montréal porte donc une énergie inédite, d’où l’intérêt de lui offrir un endroit où s’exprimer. « C’est là qu’il y a aussi une importance politique, ajoute Philippe Blouin, du fait d’offrir un espace pour la création. »
Si Gaëtan Dostie n’en est pas à sa première traversée de révolte, la crise étudiante de 2012 et ses suites ont selon lui ouvert une porte qui s’était quelque peu refermée dans les années précédentes. « Je suis le dinosaure de la gang. J’étais déjà là en 1968 dans les premières contestations, lance le poète. Mais ce sont des moments de cristallisation comme 2012 qui permettent à une jeune génération de prendre conscience de ses responsabilités, de transformer la société, d’agir. Et agir, c’est recréer des forces. »