Trous de mémoire aux archives de BAnQ

Au sein de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, l’inquiétude grandit quant à la capacité de l’institution de poursuivre sa mission de conservation et de diffusion du patrimoine québécois.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Au sein de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, l’inquiétude grandit quant à la capacité de l’institution de poursuivre sa mission de conservation et de diffusion du patrimoine québécois.

Les coupes de budget et d’emplois annoncées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) en juin dernier ont déjà un impact concret : le ralentissement du programme de numérisation des archives, provoqué par la suppression de dix postes sur 41 et la cessation des ententes de trois contractuels. Une situation temporaire « qui permettra de revoir le processus et de la planifier la suite », selon BAnQ. Une perte d’expertise difficilement remédiable, selon le syndicat et certains employés. L’avenir de la numérisation et de la diffusion Internet des archives est-il devenu sombre ?

« Il n’y a aucune stratégie dans cette coupe budgétaire », a dénoncé au Devoir un employé, préférant garder l’anonymat, soulignant « l’incohérence actuelle entre les discours, la mission et le plan stratégique et l’attribution des budgets. On ne comprend pas la logique de couper dans le secteur névralgique et d’innovation. C’est littéralement le secteur d’avenir pour l’atteinte de la mission fondamentale de BAnQ : acquérir, conserver et diffuser le patrimoine québécois. C’est ce qui est saboté ».

En plus des 13 personnes qui sont déjà parties, 16 autres postes seront abolis au 31 mars prochain. Le secteur de la numérisation est le plus touché par cette nouvelle vague de compressions, la quatrième depuis 2009. « On ne s’attendait jamais à autant de suppressions de poste, et on ne s’attendait pas à ce qu’ils soient seulement à la numérisation. C’est principalement ce qui est touché », indique Jean-François Sylvestre, du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec.

Même avec une éventuelle réinjection de fonds, l’expertise risque d’être à reforger ; « un technicien super compétent, c’est rare ; et qui a de l’expérience en formats anciens, désuets et endommagés, encore plus », a illustré une autre source, refusant aussi d’être identifiée. C’est souvent, au Québec, BAnQ qui forme les techniciens en manipulations de ces documents si particuliers, souvent fragiles. Le ralentissement de la numérisation comporte aussi un risque pour la conservation de la collection patrimoniale. « À ce rythme, dans 15 ans, il ne restera plus rien de notre collection en magnétique », les bandes étant au bout de leur longévité. « Il faut connaître les machines et les supports, poursuit cette source, sinon on risque de tout casser. On a des supports qui ont 40 ou 50 ans. Il leur faut une chambre d’acclimatation, passer dans des machines pour les nettoyer, les traiter aux petits oignons, sans quoi il n’en reste plus rien ensuite. C’est une mort annoncée, dont on ne semble pas se préoccuper outre mesure… »

Le temps d’analyser

BAnQ défend quant à elle sa réorganisation. « Le programme de numérisation fait actuellement l’objet d’une analyse en vue d’optimiser les ressources tant humaines que matérielles et informationnelles, ainsi que les processus », a répondu la directrice des communications de BAnQ, Geneviève Rossier. Il y a quelques semaines, une note interne envoyée par les communications soulignait plutôt que « les mesures annoncées ralentissent temporairement [le programme de numérisation et de traitement des contenus] afin qu’on trouve une façon de le rendre plus efficace à moyen et à long terme. Jusqu’ici, nous n’avons numérisé et traité qu’une très petite partie du patrimoine disponible ». Dans son rapport annuel l’an dernier, BAnQ soulignait n’avoir pu atteindre ses cibles pour le nombre de documents des collections patrimoniales en ligne pour 2014-2015 et 2015-2016, alors que les cibles des emprunts de ces documents déjà numérisés étaient facilement dépassées. Les moyens manquent ; la demande du public est là.

« La tâche qui nous attend dans les années à venir est gigantesque, poursuit la missive interne […]. Pour réaliser cet objectif, nous devons atteindre un meilleur équilibre entre la numérisation des données et le traitement de ces mêmes données. Le ralentissement temporaire des activités permettra de revoir le processus et de planifier la suite afin d’atteindre cet équilibre. Prétendre que l’abolition des postes occasionnels à la numérisation menace le programme de numérisation n’est pas exact, puisque 31 employés de BAnQ continuent d’être affectés à la numérisation à temps complet. » Jusqu’au 31 mars seulement, omet-on de dire, où il ne restera alors plus que quinze postes permanents.

Deux scénarios sont alors envisagés, selon les deux sources internes indépendantes. Dans le meilleur des mondes, 800 000 dollars bonifiés par le Plan culturel numérique (PCN) — dont le montant n’est pas encore déterminé —, idéalement jusqu’à 1,6 million, « permettraient de conserver les employés permanents et quelques contractuels ». Sinon, un budget limité au 800 000 dollars déjà prévu, qui « réduirait à sept employés le total des employés de la numérisation. Autant dire que cette direction et les mandats qu’elle assumait n’existeront plus ».

Un scénario peu probable, selon les informations avancées il y a quelques jours par le ministre de la Culture, Luc Fortin. « On continue de soutenir BAnQ via le PCN. C’est important de le rappeler : il va y avoir d’autres sommes versées à BAnQ en cours d’année pour des projets avec le PCN, rassurait le ministre. On se doit de prendre ce virage numérique là, ce qui ne nous empêche pas de devoir gérer les fonds publics de manière rigoureuse ». Est-ce une autre manière de dire que le ministre a des exigences face à la numérisation à BAnQ ? « Absolument. Ça fait partie des objectifs du gouvernement, et au-delà, c’est une nécessité en 2017 d’avoir une sensibilité à la question du numérique. BAnQ, à travers les effectifs actuels, a toutes les ressources nécessaires pour accomplir sa mission. »

Le poids matériel

 

Depuis 2014-2015, près de 600 000 dollars de matériel de numérisation a été acquis par BAnQ, dont près de 262 000 dollars en 2016-2017. Des tables tournantes professionnelles, des numériseurs pour microfilms, microfiches ou papier, un ordinateur spécialisé pour l’archéologie numérique sont des items sur les listes d’achats effectués par le secteur de la numérisation qu’a obtenues Le Devoir du syndicat. Comme prévu dans le cadre du PCN, 700 000 dollars depuis 2014-2015 auront bientôt été dépensés en équipement. Des investissements d’abord très bien vus par les équipes. Car l’idée était de monter une infrastructure pouvant offrir des services de numérisation d’archives aux ministères, organismes et municipalités du Québec. « Mais avec les coupes, tout cela tombe à l’eau », indique un employé.

Quant à lui, le ministre Luc Fortin a souligné que « pour la réorganisation des effectifs dans le numérique à BAnQ, je pense que ça devra faire partie de leur exercice de réflexion. »

Le prochain président-directeur général de BAnQ, nommé par le conseil des ministres sur recommandation du conseil d’administration de l’organisme, devrait par ailleurs être nommé sous peu.

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