Art autochtone: 375 ans de résistance

«Welcome to Indian Country», de Soleil Launière, artiste originaire de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean
Photo: Les Productions Ondinnok «Welcome to Indian Country», de Soleil Launière, artiste originaire de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean

Au début du mois, à l’occasion du 375e anniversaire de Montréal, le Musée des beaux-arts de Montréal érigeait, devant son édifice de la rue Sherbrooke, un totem réalisé par Charles Joseph, de la nation kwakiutl de la côte ouest canadienne. Si ce totem a l’avantage de représenter l’art autochtone, il a provoqué un certain malaise parmi les artistes autochtones du Québec, qui se disent sous-représentés dans les musées de Montréal.

Mercredi, au moment où on célébrait l’anniversaire de Montréal, un groupe d’artistes et d’organisations artistiques autochtones étaient réunis pour un rassemblement de deux jours, pour faire l’état des lieux de la pratique artistique autochtone au Québec.

Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Yves Sioui Durand a signalé d’entrée de jeu mercredi l’absence des autochtones du Québec dans les collections du MACM.

Parmi les thèmes abordés dans les discussions, on rappelait le fait que les artistes autochtones du Québec accusent un certain retard par rapport à ceux du reste du Canada. Une étude de France Trépanier et Chris Creighton-Kelly a en effet constaté que les artistes autochtones francophones sont marginalisés par rapport à leurs confrères de l’ensemble du Canada. Le dramaturge huron-wendat Yves Sioui-Durand, le fondateur de la compagnie de théâtre Ondinnok, signalait quant à lui l’absence des autochtones du Québec dans les collections du Musée d’art contemporain de Montréal.

À ce sujet, le chercheur Jean-Philippe Uzel explique que l’art contemporain autochtone est considéré comme un « art “impur” […] qui emprunte ses sujets et ses techniques aussi bien à la culture traditionnelle amérindienne qu’à l’art contemporain américain et européen. Cette “impureté” reste toutefois foncièrement étrangère à la modernité occidentale — même lorsque celle-ci se pare des attraits d’une postmodernité qui prétend favoriser l’éclectisme et la citation ».

L’avenir regarde les traditions

À cet égard, il était intéressant d’entendre les mots de l’artiste en arts visuels Christine Sioui Wawanoloath, d’Odanak, dont les parents fabriquaient autrefois des paniers qu’ils vendaient aux touristes. « Mon père disait qu’il n’avait jamais pu transformer notre artisanat en art, parce qu’ils devaient travailler pour survivre », dit-elle.

Plusieurs artistes autochtones ont aussi témoigné du fait qu’ils étaient autodidactes et qu’ils avaient puisé leur inspiration dans leur culture traditionnelle.

Photo: Productions Ondinnok L'oeuvre «Becoming Sky Woman» de Skawennati

La Crie Natasia Mukash racontait comment elle s’est inquiétée de ne pas avoir de formation lorsqu’on lui a demandé d’agir comme commissaire pour une exposition portant sur la culture crie. « Les gens qui m’ont demandé de le faire m’ont dit : “Mais tu es Crie, c’est cela ta formation”. » Son sentiment de doute s’est accentué lorsqu’un autre commissaire a fait valoir qu’elle n’avait pas les compétences nécessaires pour accomplir ce travail.

Frank Polson, un Anishnaabe artiste en art visuel de la communauté de Longue-Pointe affirmait lui aussi être autodidacte. « Au début, j’ai puisé mon inspiration dans les oeuvres de Norval Morrisseau, et après j’ai développé mon propre style », dit celui qui vient de finir une murale avec des enfants d’âge scolaire à Lac-Simon, et qui fera l’objet bientôt d’une exposition rétrospective à Val-d’Or.

Être autochtone aujourd’hui

Résolument tournés vers l’avenir, ces artistes autochtones exprimaient cependant un profond besoin de puiser dans leur culture traditionnelle, tout en prenant leur place dans le monde contemporain, de se « réindianiser », pour reprendre les mots d’Yves Sioui Durand. Il citait d’ailleurs à ce sujet le penseur mohawk Taiaiake Alfred, auteur de Paix, pouvoir et droiture, un manifeste autochtone.

« Être autochtone aujourd’hui, c’est être cultivé : posséder la culture, l’exercer, l’affirmer, la célébrer. Mais on ne peut pas avoir n’importe quelle culture ; ce doit être la culture traditionnelle : définie, distincte, réfléchie, réapprise, puis perfectionnée. Notre souveraineté même […] en dépend dans la mesure où nous devrons continuellement prouver notre différence si nous voulons faire respecter nos droits. »

Photo: Productions Ondinnok L'oeuvre «Esprit Manuscrit» de Christine Sioui Wawanoloath

Le témoignage de l’aîné mohawk Charles Patter, qui a rencontré de nombreux hommes et femmes politiques, de René Lévesque à Hillary Clinton, était à ce sujet éloquent. « Le grand chef nous disait toujours, lorsque nous rencontrions les Blancs pour négocier, de porter nos habits traditionnels, de parler notre langue, d’emporter notre culture avec nous. Sans cela, si nous portons leurs habits et nous parlons leur langue, ils vont dire : “J’ai gagné, ils sont comme moi.” »

Certains artistes ont par ailleurs désigné l’art comme un moyen de s’ouvrir des horizons, de « sortir de la réserve ».

Or, poursuit Yves Sioui Durand, depuis 1642, la Ville de Montréal s’est construite sur un territoire non cédé. Pour les autochtones, il n’y a rien à célébrer. « Ici, dit-il au sujet de cet état des lieux de l’art autochtone au Québec, l’assemblée est souveraine. »

Ce rassemblement a aussi été l’occasion de lancer une étude réalisée par les chercheurs Jean-François Côté, Claudine Cyr et Astrid Tirel, qui revient sur les 30 dernières années de pratique d’art autochtone au Québec. Parmi les 268 artistes recensés, 28,7 % provenaient de la communauté innue, suivie des Wendats (14,6 %), des Anishnabe (11,2 %), des Attikameks (9,3 %), des Mohawks (6,7 %), des Inuits (6,3 %) et des Abénaquis (3,7 %), notamment…

Étant donné la croissance démographique considérable des communautés autochtones du Québec, on peut s’attendre à rencontrer bientôt une relève artistique autochtone diversifiée. Le rassemblement est organisé par la compagnie Ondinnok.

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