James Rosenquist, l’une des dernières icônes du pop art, s’éteint

Comme Andy Warhol, la grande figure tutélaire du pop art américain, James Rosenquist était arrivé à l’art par l’entremise de la publicité, transférant sur la toile des techniques maîtrisées pour les réclames. Lui aussi avait connu gloire, richesse et notoriété assez tôt, dans les années 1960. Sa vie d’artiste bien remplie vient de s’achever : James Rosenquist est mort vendredi dans sa résidence de New York. Il avait 83 ans.
Et si Warhol était le pape du pop, Rosenquist incarnait quelque chose comme un de ses cardinaux avec Roy Lichtenstein ou Robert Rauschenberg, tous maintenant disparus. Il ne reste guère plus que Jasper Johns comme grand témoin de ce mouvement phare du XXe siècle, dont les influences se font encore largement sentir partout.
Le pop art a largement contribué à faire basculer le moderne dans le postmoderne. Rosenquist et quelques autres créateurs révolutionnaires ont fait sauter les anciennes lignes de fracture entre l’art et la culture populaire, leurs créations artistiques empruntant des éléments visuels à la bande dessinée, à la télévision, aux magazines ou tout simplement au marketing et à la publicité.
Peintre d’abord et avant tout, Rosenquist se distinguait par une préférence marquée pour les grands formats, là encore sous l’influence de son ancien métier de peintre d’affiches commerciales. Sa mécanique expressive se démarquait aussi par une utilisation assumée d’images fragmentées, selon une façon plus associée au dadaïsme.
« Warhol était très avant-gardiste tandis que Rosenquist n’a pas rejeté la grande tradition de la peinture européenne. On la sent bien dans ses compositions qui empruntent aussi au surréalisme », dit David Elliott, professeur de peinture et de dessin à l’Université Concordia. « Son imagerie n’empruntait pas seulement à la culture populaire. Il était fasciné par le ciel et les machines volantes, les avions et les fusées et, en même temps, par les gros plans sur des détails de la vie courante, un peu de beurre dans une casserole ou du bacon. J’aimais chez lui ce mélange entre le cosmique et le banal. »
Une notoriété précoce
Né à Grand Forks dans le Dakota du Nord en 1933 dans une famille d’aviateurs amateurs d’origine suédoise, James Rosenquist manifeste très tôt un talent et un intérêt pour les beaux-arts, que sa mère reconnaît et encourage. Cette combinaison chanceuse va lui permettre de remporter un concours et des bourses qui le mèneront à l’Université du Minnesota puis à New York, à 21 ans, où il se frotte à l’enseignement du dadaïste allemand George Grosz, antinazi exilé aux États-Unis depuis 1933.
Pendant ces années de formation, le jeune Rosenquist travaille comme peintre publicitaire, colorant les façades des immeubles de Saint Paul puis de New York. Il cesse ce gagne-pain en 1960 après la mort d’un de ses camarades de pinceaux tombé d’un échafaudage.

Il décide alors de s’engager à plein dans une carrière artistique. Il loue un studio dans un immeuble d’un quartier sud de Manhattan où travaillent déjà Robert Indiana, Jasper Johns et Robert Rauschenberg. Le soir, il traîne dans Greenwich Village à la Cedar Tavern. Il y croise Mark Rothko, Willem de Kooning et d’autres monstres sacrés de l’expressionnisme abstrait, que sa propre impétuosité artistique va contribuer à remplacer en position de tête artistique, selon la logique de la tradition moderniste voulant qu’une nouvelle école en chasse toujours une autre.
Sa typique manière figurative s’impose dans le monde de l’art dès 1962 par une exposition solo devenue mythique à la Green Gallery, tenue par Richard Bellamy. M. Elliott a rencontré James Rosenquist une fois par l’intermédiaire de ce galeriste capital. C’était il y a deux décennies environ.
« Nous avons échangé quelques phrases assez banales, explique-t-il. J’ai vu sa toile Nomad [1963] pour la première fois au musée Albright-Knox, à Buffalo, quand j’avais 16 ou 17 ans. C’est une table de pique-nique avec plein d’éléments, dont les jambes d’une danseuse. C’est un classique qui était dans sa première exposition à la Green Gallery. »
Spaghettis et Vietnam
Le surdoué passe dès 1965 chez Leo Castelli, autre galeriste star.C’est là qu’il expose F-111, peut-être son oeuvre la plus célèbre, une toile monument de 26 mètres, répartie sur 23 panneaux. Le titre s’inspire d’un chasseur bombardier ultrasophistiqué que Rosenquist fait « voler entre les débris de notre société pour remettre en question la collusion entre la machine de mort du Vietnam, le consumérisme, les médias et la société de consommation », comme il l’explique lui-même.
On y retrouve entremêlés des spaghettis, un pneu, un champignon atomique et une petite fille sous ce qui ressemble à un séchoir à cheveux. L’oeuvre emblématique de cette décennie contestataire est maintenant au Musée d’art moderne de New York.
Warhol était très avant-gardiste tandis que Rosenquist n’a pas rejeté la grande tradition de la peinture européenne
Le pop art a vite essaimé partout dans le monde jusqu’ici, par exemple auprès des membres de la galerie Graff (dont Pierre Ayot). David Elliott assume aussi cet héritage avec ses grands formats tout en couleur, où se retrouve une impression de collage que ne renierait pas non plus le surréalisme.
« J’ai gardé Rosenquist comme une grande influence, dit le peintre québécois. J’ai conservé de lui cette idée qu’on peut réaliser une oeuvre sérieuse et profonde qui peut aussi être appréciée par n’importe qui. Et puis, comme les siennes, mes toiles sont grandes, font du bruit, donnent un spectacle, avec un soupçon d’érotisme. Au fond, c’est très rock and roll. »
Une autre des toiles phares de son maître, Be Beautiful (1964), typiquement pop avec sa reproduction de pub colorée pour la crème Noxzema, a atteint plus de 4 millions de dollars aux enchères de Sotheby’s en 2014. La cote de Rosenquist est donc encore loin de celle de Warhol qui atteint, lui, les niveaux stratosphériques de Picasso ou de Monet.
Warhol était très avant-gardiste tandis que Rosenquist n'a pas rejeté la grande tradition de la peinture européenne