Des Casques bleus au secours des trésors de Visso, en Italie

Dans les décombres de l’église Saint-François, une quarantaine de personnes armées de gants et de casques tentent d’extraire délicatement les pièces qui ornèrent ce joyau du Moyen Âge.
Photo: Photos Filippo Monteforte Agence France-Presse Dans les décombres de l’église Saint-François, une quarantaine de personnes armées de gants et de casques tentent d’extraire délicatement les pièces qui ornèrent ce joyau du Moyen Âge.

L’émotion est grande dans la petite sacristie toute fissurée de l’église médiévale Saint-François à Visso, au centre de l’Italie : les « Casques bleus » italiens venus sauver les trésors culturels de cette région dévastée par les séismesviennent de découvrir une fresque magnifique.

Les couleurs pâles, ocre et violettes, de cette crucifixion, probablement peinte par le maître Paolo da Visso au XVe siècle, se révèlent petit à petit sous les décombres, derrière le grand meuble de la sacristie, miraculeusement encore debout.

Le sauvetage de cette oeuvre est le résultat d’un travail minutieux, méthodique et surtout collectif auquel participent des carabiniers experts en patrimoine culturel, des historiens, des archéologues, des architectes…

Ils forment le corps des « Casques bleus de la culture », instauré il y a un an par l’Italie en partenariat avec l’UNESCO pour protéger et secourir les monuments historiques, les vieilles églises et les oeuvres d’art meurtries par les tremblements de terre.

Photo: Filippo Monteforte Agence France-Presse Le responsable du chantier, Pierluigi Morricone, historien d’art, inspecte une toile sauvée par son équipe.

Dans les décombres de l’église Saint-François, une quarantaine de personnes armées de gants et de casques — jeunes volontaires, experts en art, fonctionnaires du ministère de la Culture, pompiers, membres de la protection civile et carabiniers des Casques bleus — tentent d’extraire délicatement les pièces qui ornèrent ce joyau du Moyen Âge.

« C’était l’église la plus ancienne de la région des Marches, une région avec des trésors inestimables et qui comptait pas moins de 483 églises », explique le responsable du chantier, Pierluigi Morricone, historien d’art qui travaille pour l’unité de crise mise en place par le ministère de la Culture.

« Nous sauvons environ 600 oeuvres d’art par jour. Soit au moins 5000 au cours des dernières semaines », précise-t-il avec fierté.

Une patience infinie

 

Visso, la « perle » des monts Sibyllins, fondée en l’an 907 et qui a survécu à tous les types de pillage depuis l’Empire byzantin, espère renaître même si tous les habitants ont été temporairement relogés ailleurs depuis les deux secousses de magnitude 5,5 puis 6,1 qui ont endommagé tous les bâtiments, mais sans faire de victime, le 26 octobre.

« La priorité est de sauver des oeuvres, des peintures, des fresques, des reliques, des sculptures, des statues, des objets liturgiques, des candélabres, des crucifix, des ostensoirs, des encensoirs », énumère M. Morricone, qui répertorie et emballe chaque objet.

Avec une patience infinie, muni d’une brosse en soie, Antonio nettoie la couche de poussière sur une peinture du XVIIIe siècle représentant une vierge avec une couronne d’or qui porte l’Enfant Jésus. Comme par miracle, les habits rouge et bleu reprennent vie, les anges réapparaissent.

« Visso est une ville d’art. Ce qui se passe est un drame. Nous devons récupérer ce territoire. Nous ne pouvons pas abandonner », affirme Antonio, qui dirige un musée à une centaine de kilomètres de là et vient chaque lundi, jour de fermeture, participer comme volontaire aux sauvetages.

« Nous sommes ici depuis le premier tremblement de terre, celui du 24 août, qui a fait 300 morts [dans la région d’Amatrice, à une cinquantaine de kilomètres au sud]. Une série de séismes dévastateurs ont suivi », raconte le capitaine de carabiniers Paolo Montorsi, l’un de ces nouveaux Casques bleus désormais prêts à partir en mission dans le monde.

Créé en février 2016 en partenariat avec l’UNESCO, ce corps compte désormais 30 carabiniers spécialisés et 30 experts prêts à intervenir dans les zones de catastrophes ou de conflits.

La formation de 40 autres doit commencer dans quelques mois, et l’Italie, qui organisait jeudi à Florence le premier G7 de la culture, assure que de nombreux pays souhaitent lui emboîter le pas.

« Nous sommes préparés pour travailler dans n’importe quel pays. En Libye, en Syrie, en Irak, nous avons beaucoup d’expérience dans le domaine de la protection des biens culturels », explique le capitaine Montorsi.

« Les carabiniers italiens comptent la sauvegarde du patrimoine parmi leurs prérogatives depuis 1969 et ont déjà formé des policiers de nombreux pays », ajoute-t-il, tout en coordonnant le départ de camions chargés de trésors en partance pour des entrepôts dont l’emplacement restera secret.

Des menaces d’un nouveau genre

Florence — Dans sa lutte contre la destruction ou le trafic de biens culturels, la communauté internationale doit s’adapter à des menaces et des conflits d’un nouveau genre, dont les acteurs échappent aux conventions internationales, explique l’expert Mounir Bouchenaki.

Au fil du temps, la communauté internationale a su se doter « d’un cadre juridique complet » en matière de sauvegarde du patrimoine, souligne M. Bouchenaki, un archéologue venu débattre de ce thème au premier G7 de la culture de Florence, qui se terminait vendredi.

Depuis 1954, la convention de La Haye protège les biens culturels en cas de conflit armé. L’arsenal s’est étoffé en 1972 avec l’association des notions de patrimoine naturel et culturel et en 2003 avec la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Mais ces conventions sont applicables à des États et non à des organisations criminelles ou terroristes, selon M. Bouchenaki, qui cite l’exemple de la destruction des Bouddhas géants de Bamiyan par les talibans en Afghanistan.

Même chose lors de crises plus récentes en Irak, en Syrie, au Yémen ou en Libye, où des groupes terroristes utilisent la destruction de biens culturels à des fins de propagande.

Mais leurs « prises de guerre » viennent aussi alimenter un juteux trafic, qui rapporterait à l’organisation État islamique (EI) entre 8 et 10 millions de dollars par an, selon des estimations de la CIA.

Depuis l'Irak

La réponse à ces destructions est venue à partir du conflit irakien, avec l’envoi de spécialistes, en particulier italiens, chargés de la défense du patrimoine.

De 2003 à 2006, des carabiniers italiens ont ainsi participé à la reconstitution des collections du musée archéologique de Bagdad, dont 15 000 oeuvres avaient été volées dans le chaos de l’intervention américaine et de la chute de Saddam Hussein.

Après les destructions des temples de Palmyre par le groupe EI, l’Italie a souhaité faire un pas de plus dans la défense du patrimoine mondial.

À Florence, le premier G7 de la culture a aussi mis l’accent sur la nécessité « d’engager des poursuites et de condamner les auteurs de destructions », a souligné M. Bouchenaki.

Il a cité l’exemple d’un djihadiste malien condamné en septembre à neuf ans de prison par la Cour pénale internationale de La Haye pour la destruction de mausolées protégés à Tombouctou.


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