Solange te parle d’intimité

La populaire YouTubeuse d’origine québécoise recueille dans son livre Très intime les confidences sexuelles et affectives de 20 courageuses femmes.
« Tu es un mec, bouffe de la chatte, quoi ! Ouah, vas-y ! » insiste Judith, 32 ans, dans un témoignage recueilli par Solange, au sujet des doubles standards prévalant encore en matière de plaisir oral, lorsqu’un homme et une femme se font des guili-guili sous la même couverture.
Décomplexées, désopilantes ou désespérantes ; les confidences d’abord récoltées par Ina Mihalache pour Radio-France, puis aujourd’hui magnifiquement restituées entre les pages de Très intime, chantent le droit encore malmené de la moitié de l’humanité au plaisir charnel sans compromis ni violence.
Elles parlent avec poésie ou âpreté de leur « plan cul » comme de leur passion folle, du consentement que l’on peut retirer à tout moment, de ceux qui ont refusé d’entendre leur non, des poils dont on peut bien faire ce que l’on veut, ou du « dragon de l’orgasme fou » qu’elles traquent avec espoir. Elles sont hétéros, lesbiennes et bi. Solange les a toutes rencontrées pendant quelques heures, pour jaser d’amour et de fesses, puis ne les a plus jamais revues.
« Je publie ce livre en pensant aux vies qu’il peut changer. Je m’imagine la trajectoire d’un exemplaire et les rencontres qu’il fera. Je pense à l’enfant un peu précoce qui aura repéré son titre et sa couverture et qui choisira le moment propice pour l’ouvrir en secret », écrit en avant-propos la Montréalaise d’origine installée à Paris, qui alimente depuis 2011 la chaîne YouTube Solange te parle, où s’accumulent depuis les saynètes contemplant le quotidien par la lorgnette d’un surréalisme doucement angoissé.
Dites, Solange, qu’auriez-vous aimé lire, dans votre propre livre, au moment où vous vous initiiez vous-même aux mystérieux délices de l’intimité à deux ? « J’aurais aimé lire cette Judith dont vous parliez, qui dit des choses assez crues sur la réciprocité, dans ce cas en parlant de cunnilingus et de ces hommes qui trouvent que ça pue, et à qui elle dit de se casser », répond-elle au bout du fil. « Ça m’aurait fait plaisir d’entendre ça. Ce qu’elle décrit, cette non-réciprocité, ce sont des choses qu’on endure, de petits arrangements qu’on fait avec soi-même en se répétant : “C’est pas terrible, mais je vais passer outre.” On prend sur soi, on avale des couleuvres, alors qu’on devrait mettre les points sur les i. »
Par-delà les sept femmes qui, parmi son échantillon, ont carrément connu le viol ou l’agression, Solange en appelle plus généralement à ce que l’idée d’un acte sexuel consenti par résignation soit évincée de l’imaginaire sexuel des femmes.
« Je pense à ce livre comme à un repaire pour des personnes qui ont une sexualité à peine naissante, qui vont peut-être y trouver le courage de s’affirmer », souhaite celle qui signait un premier titre, Solange te parle, en janvier 2016. « J’espère que la lecture d’un des témoignages peut donner le réflexe, quand c’est possible, de dire stop, plutôt que d’accepter quelque chose qu’on n’est pas sûr de vouloir. Ne pas dire le fond de sa pensée, c’est le début d’une haine de soi qui peut aller vers des extrémités qu’on pourrait éviter. J’espère aussi qu’il pourra donner l’intuition à un garçon de s’assurer une fois de plus que ça va pour sa partenaire. »
Le désir et ses contradictions
Tout en se revendiquant du féminisme, quelques femmes avec lesquelles Ina Mihalache s’est assise avoueront du bout des lèvres être néanmoins attirées par un modèle d’homme incarnant une virilité très traditionnelle, presque toxique. Difficile, une fois la bobette tombée, de ne pas laisser son entrejambe contredire son cerveau ?
« Ça ouvre en fait la grande question de la dualité entre l’amour et la sexualité. On a peut-être envie de coucher avec un homme avec qui on n’a pas envie de vivre », blague à moitié l’auteure, tout en précisant qu’elle n’est ni sexologue ni sociologue. « Ça ne fait pas si longtemps qu’on a accès à la contraception et ça suppose peut-être un temps de réapprivoisement du désir en général. Et puis, dans une journée, nos désirs peuvent traverser des états paradoxaux. »
Retranscrites avec un respect de la musique irradiant la langue de chacune de ses interviewées, dans une perspective inspirée par le ready-made, les dépositions consignées dans Très intime montrent dans leurs moments les plus prenants des femmes en proie à de réelles épiphanies, complètement décontenancées par ce que le pouvoir des mots finit par dévoiler, presque malgré elles. Isabelle, 22 ans, semble par exemple vouloir se convaincre, en vain, que l’absence de « Je t’aime » entre son partenaire et elle ne la blesse pas.
Solange : « J’ai été impressionnée par l’honnêteté et l’aplomb de ces femmes. Elles se sont prêtées au jeu de manière très responsable, comme si c’était un devoir citoyen. Je voulais savoir comment ça se passe pour les autres, et j’en ressors apaisée, réconfortée, solidaire. Ça ouvre aussi la discussion avec les hommes. Certains me disent depuis la parution du livre qu’ils ne sont dans la performance que par réflexe. Ça me fait plaisir qu’on dise que ces stéréotypes ne conviennent pas des deux côtés. Ça permet à tout le monde de prendre une grande respiration et de se poser des questions sur ce qu’on désire pour vrai. » Voilà un émoustillant programme.